Cinéma

Une année de pages blanches

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Difficile, parfois, de prendre le temps de la réflexion et de l’écriture. C’est que l’exercice critique, ou du moins ce qu’on essaie d’en faire, peut être vorace en temps pour un résultat de piètre qualité. Dans mon cas, parfois les mots viennent, d’autres fois ils ne viennent pas. La page blanche est un fauve bien plus coriace qu’on ne croit, elle vous fixe autant que vous la fixez. Le premier élan, l’envie d’écrire d’abord, puis le courage de continuer, quelques lignes encore, quelques mots ; succèdent enfin l’agacement, l’ennui, la renonciation. Comme l’impression d’être à la merci d’une inspiration supposée, de son bon vouloir capricieux.  En résulte alors certains débuts d’idées dont on ne parvient pas toujours au bout, par manque de temps ou démotivation progressive. Mais reste subséquemment un goût d’inachevé, l’impression d’avoir laissé pourrir mes avis dans un coin d’ordinateur. Avis que voilà désormais compilés sous la forme de mini-critiques, plus courtes et synthétiques, terminées pour l’occasion de la fin d’année et qui, j’espère, auront su restituer mes semblants de sentiments cinéphiles parfois confus.

Kaamelott : Premier Volet – Pacotille

Arlésienne longtemps espérée pour certains – dont je ne faisais pas partie –, projet d’ambition attendu au tournant, le premier épisode d’une trilogie déjà annoncée a remué les écrans français cet été, à défaut d’avoir passionné votre serviteur. Le plus gros problème de ce Kaamelott est assez simple : ce n’est pas du cinéma. Ce n’est pas désagréable, non, c’est même parfois assez drôle, mais ce n’est pas du cinéma. L’écriture au cordeau d’Astier n’a rien perdu, mais elle ne saurait se fondre dans le canevas cinématographique faute d’une structure viable, d’un véritable montage.

Le dialogue est affaire de rythme – Astier le sait bien – le problème étant qu’Alexandre essaie péniblement d’insuffler ce rythme par le montage-même : force est de constater l’échec. Un montage proprement calamiteux, si laborieux qu’il pique les yeux, et témoigne d’une incompétence crasse en cette matière pourtant fondamentale. C’est que l’apprenti cinéaste commet l’erreur de mimer la fabrication sérielle qui, portée sur grand écran, apparait surcoupée ou au contraire pas assez, jamais dans le bon tempo. Inutile de montrer les réactions de chaque personnage à chaque mot prononcé, de même qu’il est absurde de fixer des personnages déblatérant leurs répliqués acérées. La structure-même du métrage témoigne d’un cruel manque de liant, de cohérence purement cinématographique. L’impression d’assister à un enchaînement de saynètes plus ou moins réussies, comme on enchaînerait les épisodes d’une saison, les génériques et les pubs M6 en moins.

Pour ce qui est de la mise en images, dont on a vanté l’ambition, il faudrait rappeler que sa réussite ne se mesure pas au budget alloué. Il faut voir Astier s’enorgueillir d’avoir utilisé la caméra la plus impeccable techniquement – et donc la plus chère du marché –, encore faudrait-il avoir quelque chose à cadrer, et puis savoir le faire. Outre les effets visuels hideux, dont on se demande comment ils ont pu être validé par qui que ce soit, rien qui ne dévoile le début du commencement d’une composition, d’un mouvement élégant.

Finissons par dire que le tout n’est pas si catastrophique, que le rire est parfois au rendez-vous, mais qu’il faut être un fan invétéré du sieur Astier pour passer outre l’absence de cinéma.

5/10.

Malignant – À la Wan again

Difficile d’appréhender sereinement l’expérience hallucinatoire qu’est le visionnage du dernier James Wan, cinéaste dont le nom synonyme de succès est accolé à des classiques du genre – Saw, Conjuring, et Insidious en prime. Amenons la chose directement : Malignant est un nanar d’envergure, de ceux qui s’ignorent et se rêvent autre chose, mais pataugent tant dans la médiocrité presque surnaturelle qu’ils ne peuvent réchapper à leur sort. Film d’horreur, dit-on par-ci, thriller d’épouvante, vanté par-là : pas la peine de tergiverser outre mesure, qu’importe le genre, le résultat fait peine.

 Durant la première heure et demie, c’est bien simple : rien ne marche. Le cinéma de James Wan atteint des degrés d’indigence rarement vus. C’est que l’horreur advient directement, n’est jamais précédée par quelque normalité, ou même par la distillation d’une once d’étrangeté. Rien d’autre ici qu’un pauvre fantôme qui saute sur la caméra, deux lumières qui vacillent et une énième porte qui claque. Le tout par ailleurs noyé dans une avalanche d’effets tous plus infernaux les uns que les autres. Bon point cependant : l’embarrassante historiette qui sert de scénario à cet informe marasme est si plate qu’elle ne dérangera en rien la sieste bien méritée que vous pourriez vous octroyer. À ceci près néanmoins qu’il faut prendre ses dispositions de sorte que le réveil advienne avant les 20 dernières minutes.

20 dernières minutes d’hallucination collective, où le film bascule de l’horreur affligeante vers l’action décérébrée mais salement maîtrisée. La caméra s’en donne à cœur joie, et force est de reconnaître que le spectateur assommé trouve ici un exutoire à la hauteur de l’ennui qui a pu l’assaillir. Nul besoin de s’appesantir sur le règlement des enjeux, dont on se fout royalement : il s’agit simplement d’apprécier des scènes d’action tendues, outrancières et jouissives. Pas sûr que le jeu en vaille la chandelle, mais la bascule est pour le moins surprenante.

4/10.

Old – Life is a beach

M. Night Shyamalan est de ces cinéastes à la carrière étrangement considérée. Adulé d’abord, méprisé trop vite, reste que chacune de ses incursions cinématographiques suscite l’intérêt. Qu’en est-il de sa dernière production ? Alors qu’une famille rêve tranquillement de coquillages et de crustacés, elle accède à une plage réservée à des clients particuliers. Mais sur la plage abandonnée, vieillissement accéléré : voilà toute la promesse – alléchante, soit dit en passant – de cet Old. S’ensuivront troubles et terreurs, moments d’effroi que Shyamalan affectionne presque amoureusement.

Le film ne vit que pour ses moments d’effroi, parfaitement maîtrisés, rendus dans leur intensité primitive. Shyamalan tord le réel, cherche partout le moyen de rendre son angoisse cinématographique, et c’est peu dire qu’il y parvient. Grand art de la mise en scène, par accélérations successives, qui tend le rythme comme rarement, mise en branle d’une machine quasi métaphysique. C’est que l’effroi n’est jamais vain, et vient toujours nourrir des angoisses souterraines, archaïques, exprimées ici dans leurs extrémités. Les idées visuelles toujours jaillissantes opposent frontalement au regard du spectateur ce qu’il ne veut pas voir, ce qu’il fuit habituellement de sa pensée. L’image de Shyamalan est sans issue, force à la confrontation, donne le vertige à chaque poussée.

Hélas, cette force de la mise en scène ne saurait cacher les multiples fêlures de l’ouvrage, en cela qu’elle semble presque déconnectée du reste – une force à part. Outre la fin calamiteuse, le twist pout le twist, et l’écriture rachitique des personnages, le film pèche par sa structure. Old semble pris par des mous et remous, la houle de ses effrois épars, moments enchâssés qui, s’ils sont indépendamment percutants, perdent en ampleur une fois agencés. La frousse est là, qu’on ne saurait négliger, mais elle est fugace, pris par le flot d’un rythme étonnant, à la fois inarrêtable et délié, presque forcé. En résulte une œuvre bancale, aux pics savoureux mais dont le tout manque de liant, d’ampleur, de tenue.

6/10.

Sans un bruit 2 – «     »

Suite, comme son nom l’indique, de Sans un bruit, ce deuxième opus met en scène la même famille américaine face aux mêmes créatures dans le même monde postapocalyptique. A l’évidence, le piège eût été de tomber dans la redite, piège soigneusement évité par Krasinski – Jim de The Office –, qui sut, par des atours malins de mise en scène, réinjecter de la tension, et par-là de l’attention. Tout l’enjeu du premier volet était – jusqu’au final du moins – de ne pas voir les créatures, de véhiculer l’angoisse par d’autres vecteurs, sonores notamment. Les monstres désormais dévoilés, Krasinski fait le choix éminemment périlleux de l’action qui, s’il devait être piètrement exécuté, pourrait complètement oblitérer la tension. Heureusement, le cinéaste déploie ici un véritable talent de mise en scène : point de montage irraisonné, illisible, de caméra à l’épaule insupportable – merci Seigneur. Ici, tout se joue dans la suspension et la durée. Durée du plan, qui ne découpe pas l’action mais la déploie, souvent par des mouvements élégants et parfaitement maîtrisés – en témoigne la scène inaugurale.  Durée de la scène également, qui suspend la tension par des jeux cinématographiques : montage alterné, effets savamment dosés, silences bien sentis. Et que dire sinon la joie d’apprécier de l’action bien faite, qui ne réinvente pas grand-chose mais s’acquitte dignement de sa tâche, le tout servi toujours par le travail impeccable du son.

Mais au sortir de la salle, qu’a-t-on véritablement retenu, quelles images, quelles émotions ? D’évidence pas grand-chose. Le travail bien fait ne cache malheureusement pas sa cruelle inconséquence, qui trahit une écriture minimale, en stagnation totale, presque dormante. Les personnages du premier volet n’évoluent pas, les nouveaux ne passionnent guère, tout juste sont-ils émotionnellement rattachés les uns aux autres, dans l’espoir que le spectateur s’y attache ensuite, mais hélas non. Si bien que le film souffre d’une infirmité trop bien connue : le syndrome Arthur et les Minimoys 2, théorisé par l’ex-président de Making Of Baptiste Gaudeau. On suit les aventures, tout se passe bien, d’accord, le film se termine et hop, il ne s’est rien passé. C’est magique, parfois, le cinéma. N’empêche que l’illusion ne dure pas, et que l’amertume prend le pas. Pas de trajectoire émotionnelle ou réflexive, de personnages décemment bâtis, rien que des scènes dont on apprécie la teneur sur le moment mais qui ne sauraient marquer. Reste à attendre une suite que nous irons probablement voir, sans grand espoir ni véritable envie, comme les moutons que nous sommes.

6/10.

Aline – J’irai chercher ton cœur

Etrange impression devant la bande-annonce d’Aline, celle de ne pas savoir véritablement si le film est sérieux ou non, s’il peut être sincèrement beau ou s’en va sombrer inévitablement dans les limbes nanardesques. C’est que le film de Valérie Lemercier, dans sa grande intelligence, choisit un chemin de traverse : le film Céline Dion. Rien ne ressemble plus à Céline Dion qu’Aline, cette étrange tentative grotesque et belle, à la fois complétement excessive et étonnamment fragile, dont le ridicule est d’une sincérité désarmante.

Il faut le voir pour le croire : incrustation de Valérie Lemercier sur le visage d’une enfant de 5 ans, imitation insensée d’accents québécois, effets visuels complétement azimutés, et pourtant… Pourtant le tout prend une cohérence assez remarquable, venant s’épanouir dans cet espace typiquement dionesque entre la bouffonnerie et l’élégance. L’expérience qui en résulte, pour le moins étrange, n’est pas sans dégager une émotion non feinte et grandissante : qui eût cru que la mort de René au cinéma pût être si émouvante, de même que les atermoiements solitaires de Céline ? Lemercier croit tant en son personnage, la justesse de ses intentions, de ses failles, qu’elle paraîtrait la suivre jusqu’au bout des choses, et c’est là toute la noblesse de son entreprise.

Le film mue sans cesse, d’un genre l’autre, d’un sentiment l’autre : vrai-faux biopic, comédie légère, mélodrame assumé et désarmant. Il semblerait presque, à l’image de son héroïne, ne pas tenir en place, se chercher continuellement au fil des images et des scènes. Aline s’est trouvée, c’est une femme ordinaire ; le film ne l’est assurément pas, ordinaire, et vaut que l’on s’attarde sur sa folie douce, son inépuisable tendresse.

7/10.

The Suicide Squad – Gunn N’ Roses

Après la catastrophe industrielle qu’était la première tentative d’un Suicide Squad, autant dire qu’on n’attendait pas ce nouvel essai de pied ferme. Quelle ne fut pas ma surprise devant l’avalanche de critiques positives, faisant la part belle à l’irrévérence salutaire de l’ouvrage, ses allures délicieusement punks, disait-on. Quelle ne fut pas ma déception ensuite devant le film lui-même, tout juste correct. C’est que le geste soi-disant irrévérencieux de James Gunn l’est finalement si peu qu’on peut légitimement se sentir floué. Pire encore, Gunn veut si fort être punk et y parvient si peu qu’on pourrait finir par le prendre en peine. Il connaît cependant ses blagues pipi-caca, ose même parler de sexe et pire, dit des gros mots : c’est bien James on est content, reste à faire du cinéma maintenant.

Le film s’embourbe dans une esthétique tout sauf irrévérencieuse, lisse à souhait, plate comme pas possible et défraîchie par-dessus. Il suffit de prêter deux minutes son regard aux atours clipesques des scènes avec Harley Quinn – par ailleurs bien souvent calamiteuses, tant les enjeux sont éculés au dernier degré – pour se rendre compte du niveau de fadasserie atteint. Le film est rigolo, oui, mais il finit toujours par être rattrapé par la machine : en témoigne le final qui, en dépit de son kaïju claqué, rejoue les classiques du genre sans élégance ni inventivité, tout juste comme les autres, platement, faiblement.

The Suicide Squad se rêve impertinent mais n’est qu’un film poli parmi des milliers, et dont on a déjà tout oublié. Correct, certes, tout juste au-dessus de la mélasse ambiante, qui bat de ses grosses ailes empesées mais patauge confusément pour s’en sortir. Qu’on vienne en revanche nous parler de film punk, tout ça parce qu’on fait dire à Harley Quinn « désolé du retard, j’étais en train de faire caca », c’est non.

5/10.

Luca Mongai
Rédacteur en chef de la Cinémat'HEC pour l'année 2021-2022.

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