Cinéma

Le Dernier Duel (2) – Du moins espérons-le…

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Une fois de plus, le désaccord divise la famille Making Of. À peine enfantée par le sein de l’ignorance pour voir le jour dans l’univers fabuleux de la connaissance, un nouveau-né semble avoir sauté l’étape de l’enfance pour l’adolescence. En effet, bien que pleine d’éloquence, sa critique du dernier film de Ridley Scott regorge surtout d’insolence et l’allitération plaintive utilisée dans cette introduction n’est qu’une manière de rappeler que je dois à nouveau panser les plaies de tant d’extravagance.

Le Dernier Duel est peut-être le meilleur film de Ridley Scott depuis Gladiator, et sans aucun doute le plus abouti depuis Mensonges d’État. Commençons par ce qui met tout le monde d’accord. D’abord, les scènes de combat – surtout la scène du duel final – sont absolument époustouflantes. La caméra souvent très proche des protagonistes nous plonge dans les mêlées sanglantes et boueuses. Le spectateur tombe et se relève avec les chevaliers, sent la puissance de chacun des coups donnés et reçus, et est imprégné de la crasse des champs de bataille. La scène du duel nous prend au corps, nous coupe le souffle, nous fait physiquement souffrir. Elle est violente mais réaliste, point d’acrobatie ou de partie d’escrime, uniquement des coups d’épée et de hache extrêmement violents. En outre, la reconstitution historique est, comme toujours avec Ridley Scott, parfaitement immersive. Les costumes ne sont pas réalistes mais réels, des copies conformes de ce que portaient nos aïeux du XIVème siècle, si bien qu’on ne peut qu’admirer l’aisance avec laquelle Adam Driver et Matt Damon se meuvent dans leurs armures de près de trente kilos. Les décors sont également très réussis, notamment la reconstitution en images de synthèse de Notre-Dame en fin de construction et qui fait comme un écho à Notre Dame contemporaine assiégée, une fois encore, par les échafaudages.

Mais outre cette parfaite maîtrise des effets spéciaux et de la chorégraphie des batailles, Ridley Scott a su à mon sens cette fois-ci, contrairement à dans Kingdom of Heaven, proposer un fil scénaristique ainsi que des personnages intéressants. Le but du découpage en trois chapitres, chacun d’entre eux présentant la version des faits des trois protagonistes principaux (Jean de Carrouges, son épouse et le violeur de cette dernière), permet de mettre en lumière l’aspect constitutif de l’être humain moyen : l’orgueil nous dédouanera presque toujours de nos actions coupables. Si certains voient dans la brutalité et la simplicité de Jean de Carrouges une paresse dans l’écriture du personnage, auquel il est impossible de s’attacher comme à un héros, j’y vois la peinture de l’être humain moyen du XIVème siècle par excellence. Je précise bien « du XIVème siècle » car certains de ses actes qui seraient considérés comme monstrueux aujourd’hui étaient parfaitement légitimes de son temps – prenons garde à la cancel culture, par pitié. Ce film est inspiré d’une histoire vraie et se doit donc de faire un dessin naturel des personnages, en les prenant avec leurs qualités et leurs défauts, ce qu’il parvient parfaitement à faire. Si vous voulez voir une adaptation de Tristan et Yseult, passez votre chemin, vous vous ennuierez et serez déçus. Mais si vous voulez connaître les tenants et les aboutissants du dernier duel judiciaire de l’histoire de France, avec en prime un spectacle digne du Puy-du-fou, foncez voir ce film.

Enfin, parlons du sujet politique mais aussi tabou du Dernier Duel : le viol. J’ai vu beaucoup de déclarations scandalisées par la répétition de la scène de viol de Marguerite de Carrouges dans le film. Cependant, cette répétition est selon moi essentielle à l’arc narratif dans la mesure où elle permet de comprendre la vision archaïque mais pas anachronique qu’a Le Gris des femmes, son hubris démesuré et d’ainsi expliquer comment ce dernier peut nier l’atrocité de son acte avec conviction. Car même si très choquante vue de l’extérieur, la scène du viol vue par Le Gris peut laisser un minuscule doute dans l’esprit du spectateur quant au caractère forcé de la scène. La deuxième scène est, quant à elle, sans équivoque, et balaie ainsi tous nos doutes. Oui, cette redondance de la scène du viol nous titille l’estomac avant de nous le poignarder pour de bon. Oui, cette redondance nous met profondément mal à l’aise et nous fait détourner le regard. Mais nul doute que ce sont exactement les sentiments que cherche à provoquer Ridley Scott qui se rappelle les enseignements d’Aristote et de sa catharsis : choquer pour purger les péchés.  

En définitive, Le Dernier Duel est un excellent film d’action médiéval dont la résonnance est plus actuelle que jamais.

8.5

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