Cinéma

Nomadland – Briser le cercle

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En allant voir Nomadland, je ne savais pas à quoi m’attendre. Un film triplement oscarisé, lion d’Or à la Mostra de Venise, et qui sort enfin au cinéma, ça a de quoi intriguer. Réalisé par une femme qui plus est, Chloé Zhao, porté à l’écran par une actrice de renom, Frances McDormand (elle aussi triplement oscarisée pour Fargo, Three Billboards, et donc Nomadland), ça a même de quoi faire saliver, voire faire peur. Mettez-vous à ma place, Nomadland est-il un film symbole, un brûlot politique, un chef d’œuvre en devenir ou un mélodrame lancinant ? Bref, faut-il retourner au cinéma ? est-ce que l’eau ça mouille ? beaucoup de questions qui, comme on dit en bon français, doivent être répondues.

Nomadland est l’histoire de Fern, une sexagénaire qui après avoir perdu son emploi des suites de la crise de 2008, décide de vivre dans son mini-van à travers les états de l’Ouest américain. Elle y rencontre des hommes et des femmes, qui comme elle mènent une vie de débrouille itinérante, en marge de la glorieuse normalité étasunienne.

A première vue, Nomadland tient donc du drame social. Ne subsiste du rêve américain que l’appel des grands espaces. La prospérité a pris la poudre d’escampette depuis longtemps déjà. Mais Chloé Zhao n’est pas Ken Loach. Nomadland est une histoire d’hommes et de femmes pour lesquels seule la beauté des choses simples compte vraiment, et le film tâche donc de mettre en scène cette beauté. Joli postulat, prometteur en tous cas.

Coupons court au suspense, Nomadland est un beau film. Les amateurs de Days of Heaven ou de No Country for Old Men peuvent être rassurés, Nomadland est porté par la beauté du travail de photographie de James Joshua Richards. La mise en scène de Chloé Zhao capte la sensibilité des personnages avec simplicité, tout en plans serrés tremblants et en plans larges qui magnifient les grands espaces.

Promesse tenue alors ? On remballe tout, vous venez de voir le film de l’année, sortez de la salle par la sortie à gauche de l’écran – en respectant les gestes barrières évidemment – ? Pas exactement.

Contrairement à ce qu’on peut penser, il est parfois plus ambitieux de ne se focaliser que sur les choses simples. Et plus difficile aussi. Encore plus lorsqu’on écrit, réalise, monte et produit un film, occasion au passage de saluer Chloé Zhao pour sa polyvalence. Nomadland, bien plus par son rythme lent et l’ambivalence d’un scénario austère au service de la sensibilité, que par sa mise en scène, est un défi. Chloé Zhao s’est aventurée sur la corde raide des grands films où il ne se passe rien mais qu’on aime quand même. Sauf que je n’aime pas Nomadland. Aïe.

Peut-on vraiment reprocher à Nomadland de paraître ennuyant, si l’on songe à combien l’existence de Fern paraît s’étirer à l’infini ? Oui. Parce que Nomadland ne progresse pas. Loin de moi l’idée de présenter la méthode miracle qui permettra à votre scénario d’arborer un summer body impeccable sur les plages cet été. Néanmoins, il est difficile de s’attacher à un personnage qui n’évolue pas et choisit de ne pas évoluer, encore plus lorsqu’il est à la lisière de la misanthropie. Il est difficile d’être révolté par les injustices d’une société dont les personnages choisissent de se retirer, quitte à ne pas saisir les mains tendues. Il est difficile de ne pas ressentir une certaine morosité lorsque le piment d’une histoire ne repose que sur les tragédies qui la traversent. Il est difficile de s’émouvoir lorsqu’une réalisatrice demande à une actrice de ne presque rien montrer, ce que Frances McDormand fait avec une certaine maestria. C’est là toute la substance du défi que Chloé Zhao a essayé de relever.

On peut alors se demander quel est le sentiment que Chloé Zhao a essayé de susciter. Certainement pas la pitié, ni la colère. La petite communauté qu’intègre Fern nous le suggère au détour des réflexions qui la parcourent. Il est plus question de nostalgie, d’un lien humain que symbolise cette fameuse beauté des choses simples. Seulement, tout comme ses personnages, Nomadland paraît assommé par la fatalité, tant et si bien que la tendresse qu’il inspire perd en saveur au fur et à mesure que le cercle de l’existence de Fern se répète inlassablement. Peut-être faut-il avoir plus vécu pour redonner foi en cette vie ?

Alors, si le cinéma est affaire d’émotion, allez voir Nomadland et jugez-le par vous-même. Mais surtout, revoyez-le lorsque les années auront passé. Voyez si d’ici là, contrairement à Fern, vous aurez réussi à briser le cercle.

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