Cinéma

Promising Young Woman – Who run the world ?

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Enfin ! Enfin les salles rouvrent, charriant avec elles des histoires, des images, des émotions. L’heure est à la fête, à l’exaltation naïve devant les écrans retrouvés, à l’engouement presque irraisonné. Rien ne saurait dans ce contexte troubler la sérénité des passants enjoués, à la recherche de quelque confort au sein des salles obscures. Et pourtant, avec ce premier film d’après, le confort paraît bien loin, puisqu’Emerald Fennell semble très peu encline à ménager les esprits, et sa Promising Young Woman ne compte rien épargner au spectateur candide.

Film éminemment politique, il met en scène Cassie – interprétée par l’excellente Carey Mulligan – poursuivie par un traumatisme passé et qui ne saurait s’en défaire. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un récit d’émancipation. L’émancipation s’est produite il y a bien des années déjà, un soir de jeunesse, lorsqu’une meilleure amie se fit violer aux yeux de tous, dans l’impunité du batifolage ambiant. Aucune action, aucune punition. Le récit est donc plutôt celui d’une lutte, et la logique celle du rapport de force : seule, libre, Cassie décide de réparer les torts, à défaut de réparer le système.

La grande force du film est celle de son militantisme : féroce, implacable, sans issue, il balaie d’un geste la nuance pour se concentrer sur la colère et la douleur. La démarche est claire et assumée, la critique est acerbe et n’épargne rien de ce système comme perverti de l’intérieur, qui laisse divaguer au loin les femmes, du moment qu’elles déposent leur détresse au placard. Comme toute démarche radicale, elle provoque nécessairement la polémique. Il ne s’agit nullement ici de prôner la vengeance, l’œil pour œil et le dent pour dent – ce serait omettre le caractère satirique de l’ouvrage, jusqu’au grand-guignol parfois. De la même manière, il faut être au mieux aveugle et sourd pour affirmer sereinement que cette promising young woman se repaît dans le victimaire : on ne saurait être plus à l’ouest.  Enfin et surtout, on lui fait le procès du manque de finesse, de nuances. Procès futile s’il en est, et qui témoigne au mieux de l’ignorance, au pire de la bêtise de ceux qui s’y adonnent. D’une part, la radicalité ne saurait s’encombrer de trop nuances au risque de s’y perdre et de pâlir. D’autre part, il ne s’agit en aucun cas – comme on peut le lire chez les simples d’esprit – d’une chasse aux hommes, mais bien plutôt d’une charge contre un système, auquel chacun peut prendre part, activement ou passivement. On ne reproche d’ailleurs pas à Ken Loach ses portraits sociétaux tout aussi féroces mais pas forcément plus fins, opposant aux gentils prolétaires les perfides patrons – serait-ce parce que la nature l’a fait homme ? Le film tout entier n’est qu’une injonction simple et belle à dire non, à refuser d’un même geste salutaire la victimisation et l’oppression. Grand bien à ceux qui sauront apprécier du moins le panache de la chose, tant pis pour le reste.

Le film est par ailleurs servi par un travail d’écriture globalement remarquable. Récompensé par l’Oscar du meilleur scénario original plus tôt dans l’année, Fennell manie très habilement la rupture, les retournements, dans le récit comme dans le ton. On navigue d’un genre l’autre, de la satire au thriller, bercé par la romance et brusqué par l’amertume. La scène d’exposition est à ce titre un modèle d’écriture et de plans faussement signifiants : inversion des rôles et des tons, jeu sur les impressions, les faux-semblants, reflet bien manié des hypocrisies générales. Quelques ombrages néanmoins : on pourra notamment regretter le final, qui tombe inopinément et ne semble guère s’accorder au réel, ou la sous-écriture de certains personnages, celle de l’avocat en prime ; rien qui ne saurait entacher la qualité notable de l’ensemble.

Ce n’est donc pas dans l’écriture que le bât blesse, mais à l’évidence, hélas, le bât blesse quelque part. Le cinéma, malheureusement pour Fennell, est avant tout affaire de style, et rien ici ne dit la singularité d’une cinéaste. Le tout est bien entendu séduisant, se laisse suivre avec un plaisir non camouflé, mais ne saurait véritablement marquer la rétine. La photographie pop, aux couleurs feintes, aux cadrages sans aspérités, est intensément lisse. Certains parlent d’un visuel très « frais », hélas le cinéma n’est-il pas une glace ou un jus de fruit : cette fraîcheur d’apparence trahit avant tout la platitude des images, trop souvent impersonnelles et peu inspirées. D’autant que Fennell, pour servir son propos, croit bon de surligner sa mise en scène par une bande originale tout aussi pop et tout aussi impersonnelle. Rien ne marque, et surtout, rien ne dure : le plaisir est là, mais s’estompe aussitôt que l’écran s’éteint. L’impression est donnée d’un cinéma momentané, qui peine à perdurer au sortir de la salle, ce qui est d’autant plus dommageable qu’il se veut militant.

Le constat est en définitive doux-amer : la défense, aussi féroce soit-elle, d’une cause infiniment juste, ne fait pas nécessairement le grand cinéma. Mais il reste que cette Promising Young Woman, si elle ne marque hélas ni les esprits ni les regards, fait germer ce qui semble être une promising young director. Car rappelons tout de même qu’il s’agit ici d’un premier film, et que pour un coup d’essai, le résultat ne manque pas de panache, à défaut de réinventer le genre. Alliant à la fureur de son propos une imagerie pop, lisse et presque immédiatement désuète, le film s’avère profondément ancré dans son époque, pour le meilleur et pour le pire. Plus encore, le film épouse hélas le triste mouvement des cœurs face à toutes ces horreurs : l’effroi est bien là mais il est ponctuel ; la confrontation est brutale et sans issue mais, une fois sorti de la salle, s’estompe hélas comme autant de cris au loin, désespérés et bientôt étouffés.

7

Luca Mongai
Rédacteur en chef de la Cinémat'HEC pour l'année 2021-2022.

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