Cinéma

Birds of prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn : ou comment réitérer l’échec de Suicide Squad

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Peu de temps après les événements de Suicide Squad, Harley Quinn et le Joker se séparent. Dès lors qu’elle cesse d’être en couple avec lui, Harley Quinn ne bénéficie plus de sa protection. Tous ceux qu’elle a offensés vont alors en profiter pour venir se venger alors qu’elle part à la recherche d’un diamant volé. DC Comics veut, avec ce film, prolonger l’univers établi dans Suicide Squad, avec pour la première fois un film entièrement dédié à ce personnage. En résulte un blockbuster qui réussit l’exploit de répéter les erreurs, déjà fortement décriées par la critique il y a presque quatre ans, de Suicide Squad.

Le principal problème du film, centré sur Harley Quinn, est… Harley Quinn. Le personnage issu des comics books est presque aussi intéressant que le personnage du Joker lui-même : une psychiatre à l’asile tente de soigner le Joker mais finit par tomber amoureuse de lui, et sombre dans la folie au point de se jeter dans une cuve d’acide par amour. Elle est folle amoureuse du Joker mais ce dernier la méprise et n’en a que faire d’elle. Elle ne cesse cependant de revenir, comme habitée par une sorte de syndrome de Stockholm. Le trait de caractère principal du personnage est donc bien évidemment la folie : un aspect qui n’apparaît à aucun moment dans le film. Harley nous est montrée comme« fofolle » car elle parle comme une enfant, a des référentiels différents (son animal de compagnie est une hyène), est hystérique, capricieuse et impulsive. Autant de  caractéristiques qui sont plus celles d’une gamine que d’une criminelle folle. À aucun moment le personnage n’est ni effrayant, ni surprenant – on peut aisément prédire les décisions qu’elle prendra à la scène suivante. Le meilleur exemple de ce simulacre de folie est donné par la scène d’attaque d’un commissariat : Harley s’en prend aux policiers avec des bombes de peintures, qui les assomment. On sent bien ici que le film s’adresse plutôt à une cible adolescente, et que pour que le film ne soit pas censuré aux Etats Unis on ne pouvait pas voir Harley Quinn abattre froidement des policiers, ce qui aurait été bien plus raccord avec la folie du personnage. Harley Quinn ne cesse de rappeler à la caméra qu’elle est folle mais développe cependant au fur et à mesure du film de l’empathie vis-à-vis de certains personnages, met sa vie en danger pour eux… Elle prend certaines décisions égoïstes certes, mais celles-ci ne sont motivées que par un instinct de survie. Le personnage n’a rien de fou, rien d’inquiétant rien d’effrayant et son background est balayé d’un revers de main. Le film commence par une voix off de Harley Quinn nous expliquant qu’elle n’est plus en couple avec le Joker, cependant cela ne sera jamais expliqué au cours du scénario. Harley Quinn déclare chercher son émancipation mais à aucun moment on ne comprendra pourquoi cela lui tient tant à cœur, quel est son intérêt… Il est difficile de juger la performance d’actrice de Margot Robbie, les problèmes se rapportent plus à l’écriture du personnage qu’à son interprétation. On n’éprouve rien pour les personnages en général, le background des autres étant tout aussi bâclé si ce n’est plus (les personnages sont introduits par une voix off décrivant leur identité, leur passé, et leur objectif). On a presque l’impression que le film en est conscient puisque lors des scènes finales le volume de la musique est poussé au maximum pour tenter de nous faire ressentir quelque chose, en vain.

Ce film, en tant que long-métrage d’action, se doit donc de comporter des scènes de combats. Celles-ci sont chorégraphiés de manière absolument ridicules. On ressent l’envie de la réalisatrice de rendre les combats à la fois surréalistes, voire burlesque, inspirés de certains comics book, et à la fois réalistes. Pour cela les combats et les coups portés ressemblent plus à de la danse mais l’impact des coups reçus apparaît lui réel grâce à un travail sur le son et sur l’utilisation du sang. Ce mélange entre les combats tente un exercice de funambule complètement raté, ces scènes d’actions ne sont donc ni drôles ni réalistes, et on attend impatiemment leur fin.

Un mauvais film n’est rien sans incohérences ni deus ex machina (situation en apparence insurmontable résolue par une intervention démesurément puissante et n’ayant pas été introduite en amont). Birds of Prey se fait ainsi un devoir de cocher toutes ces cases, enchaînant les ficelles scénaristiques grossières et incohérente pour finir en apothéose sur un deus ex machina à en faire pâlir les aigles du Seigneur des Anneaux. Les enjeux sont sans intérêts : les personnages se battent pour un diamant.

Un mot également sur le féminisme de ce film. On ne le redira jamais assez mais le mouvement Metoo a permis de mettre plus les femmes en avant dans les films. Ce film se réclame féministe, le titre insiste sur « l’émancipation », il ne suffit cependant pas de ne mettre que des femmes en personnages principaux pour être féministe. Ce film met en scène des femmes, qui sont fortes au combat, mais cela n’en fait pas pour autant des femmes fortes. Pour que ces personnages soient des femmes fortes il aurait fallu qu’elles bénéficient d’une écriture digne de ce nom, alors qu’on pourrait les résumer par « ce sont des femmes qui se battent bien ». Il est déplorable qu’un film censé mettre en avant les femmes ne se donne pas la peine de leur créer des personnages intéressants. Le film se sent obligé de nous rappeler son féminisme le plus souvent possible, au lieu de développer ses personnages. Si vous voulez voir des personnages féminins forts et intéressants je vous recommanderait plutôt Blow the Man Down (disponible sur Amazon en mars).

On sent cependant que des techniciens talentueux ont collaboré sur ce film : certains décors (notamment la boite de nuit) sont visuellement neufs et sont métamorphosés selon les scènes grâce à des jeux de lumière. Le fait déclencheur de l’histoire est plutôt intelligent : Harley Quinn, désormais célibataire, ne jouit plus de l’impunité que lui conférait son statut de copine du Joker et doit maintenant payer pour ses actes. Ce fait déclencheur est cependant suivi d’une présentation des personnage catastrophiques, reprenant la mise en scène désastreuse de la scène d’exposition de Suicide Squad. Le montage psychédélique au début d’une scène de torture, le fait que Harley Quinn termine en brisant le quatrième mur des phrases commencées par sa voix off pour rendre compte des voix dans sa tête ainsi que les costumes sont des légères touches de créativité au beau milieu de ce navet.

On pourra arguer que ce film est un blockbuster, qu’il n’a pas vocation à être un grand film et qu’il vise une cible adolescente. Un film de divertissement n’est cependant pas dispensé du cahier des charges d’un film : de la cohérence, des personnages intéressants… et que son cœur de cible soit un public jeune n’est en rien une excuse à sa médiocrité. Ce film n’est pas même pas un bon divertissement : on ne s’attache pas aux personnages car mal écrits, donc on ne rentre pas dans l’histoire, on ne vibre pas pour eux. On reste indifférent tout au long du film et lorsque le générique commence, on a surtout l’impression d’avoir perdu deux heures.

Comme vous l’aurez compris au ton acerbe de cette critique, ce film est non seulement mauvais mais surtout symptomatique de l’échec de DC Comics de réaliser des films artistiquement ambitieux. Au lieu d’affirmer son style plutôt sombre et traitant de thématiques difficiles, aux personnages torturés (stylé hérité de The Dark Knight de Christopher Nolan et développé dans Batman v Superman de Zack Snyder), le studio tente désespérément de copier la formule Marvel, au ton léger et rempli d’humour. Ce choix fut plutôt un succès au box-office (en témoigne les résultats de Suicide Squad ou encore Aquaman), mais est artistiquement déplorable.

Birds of prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn, de Cathy Yan. Avec Margot Robbie, Mary Elizabeth Winstead, Jurnee Smollett-Bell. Actuellement au cinéma. 

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