Cinéma

Illusions Perdues – Perdu d’avance

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Quelques semaines après France de Bruno Dumont, le cinéma français s’attaque de nouveau à l’une des professions les plus mal aimées du moment : les journalistes. Adapté du roman d’Honoré de Balzac, Illusions Perdues retrace le parcours de Lucien de Rubempré, jeune poète fraîchement débarqué d’Angoulême et désireux de se faire une place dans le monde littéraire parisien. Comme l’indique le titre, ce récit sera prétexte à une série de désillusions face à cette société corrompue et superficielle, où l’argent et la débauche règnent en maîtres.

Visiblement écrasé par le texte original, Xavier Gianolli aura recours à la voix-off de manière répétée tout au long du film, sorte de béquille narrative lui permettant de condenser les 900 pages du roman en 2h30. Difficile en effet de voir dans cette particularité autre chose qu’un aveu d’échec : chaque mécanisme social régissant la vie parisienne, censé être au cœur du roman, et donc du film, est ici expédié en une phrase accompagnée de quelques plans illustratifs. Exemplairement, les affiches publicitaires sont présentées comme recouvrant les murs de la capitale, mais seront visibles exclusivement aux quelques rares reprises où la fameuse voix-off les mentionne, comme si le cinéma n’avait pas déjà prouvé mille fois sa capacité à faire ressentir l’omniprésence de la publicité.

Cette fainéantise se poursuit jusque dans les descriptions de l’univers journalistique, faites exclusivement de raccourcis consternants. Plutôt que d’analyser les effets de système insidieux et les détails structurels, le film se complait dans une série de caricatures faciles. Le parti-pris n’est pas répréhensible en soit, mais il aurait dès lors fallu l’assumer pleinement, comme lors de la première apparition de l’éditeur Dauriat, fantastiquement incarné par Gérard Depardieu. Dans un dialogue lunaire au rythme comique parfaitement maitrisé, l’éditeur explique à Lucien que pour être connu, il lui faut un ennemi connu, avant de proposer à un autre auteur d’endosser ce rôle. Ce court échange surréaliste effleure ce qu’aurait pu être Illusions Perdues : une comédie sincèrement absurde qui, admettant les exagérations de son écriture, embrasserait la parodie pure plutôt que cet entre-deux étrange qui parait à la fois vouloir analyser sérieusement le réel et ne s’imposer aucune limite de crédibilité.

L’autre grand paradoxe du film, c’est sa volonté constante de se raccrocher au présent, non pas via des parallèles construits, mais par l’intermédiaire de simples clins d’œil. Il y est ainsi question pêle-mêle de Canard enchainé, du Masque et la Plume, ou d’un banquier entrant au gouvernement. Mais plutôt que d’approfondir ces échos à notre époque, Illusions Perdues préfère se dépêcher de passer à autre chose, se satisfaisant uniquement du sourire des spectateurs qui auront saisi la référence. Pourquoi parler de pigeons colportant de fausses nouvelles, dont on sait évidemment qu’ils évoquent Twitter, si c’est pour ne leur donner aucune conséquence pratique dans le récit ? Pourquoi présenter un journal dont le slogan est « seul nos lecteurs pourront nous acheter » s’il n’a aucun lien avec Mediapart ? Plutôt que d’inclure pleinement des structures et des individus inspirés d’aujourd’hui, Giannoli préfère adapter (trop) fidèlement le roman de Balzac et créer l’illusion d’une résonnance artificielle grâce à des références gratuites, décorrelées de la trame principale et parfaitement inoffensives.

Cette série d’écueils est d’autant plus dommageable que le film applique avec brio la recette d’un succès assuré. Direction artistique maitrisée, casting brillant, scénario tiré d’un classique, rythme soutenu et critique d’un système détesté par beaucoup, tout est là pour faire d’Illusions Perdues une expérience sympathique qui encourage à pardonner tous les défauts. Ces mêmes défauts qui n’en sont d’ailleurs pas tant que des limites : celles d’un mécanisme trop bien huilé, qui ne sauvegarde les excès du texte original qu’au travers des interventions cyniques du narrateur, incapable de les transmettre par l’image.

Finalement, de cette fresque historique aussi techniquement réussie qu’artistiquement plate, on retiendra surtout les bons mots d’une voix-off qui semble porter à elle seule tout l’intérêt du film. Le texte surplombant tellement la mise en scène qu’on en finirait presque par se demander si, finalement, le livre ne se suffisait pas à lui-même. Un peu à la manière de La douleur d’Emmanuel Finkiel, Xavier Giannoli aurait pu faire le choix radical d’être une illustration du roman de Balzac plutôt qu’une adaptation, admettant ainsi pleinement son asservissement au texte. Mais là encore, il aurait fallu prendre une décision osée, ce qui irait à l’encontre de la démarche du film : proposer l’œuvre la plus lisse et irréprochable possible. Apparemment, le pari est tenu, mais à quoi bon ?

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