Cinéma

Little Palestine – Quand s’éclipse l’espoir

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4235 kilomètres. La distance entre les visages parisiens stupéfaits qui se lisaient derrière les masques chirurgicaux et le quartier de Yarmouk, aujourd’hui détruit mais qui abrita, il y a quelques années, l’un des principaux camps de réfugiés palestiniens en Syrie. Little Palestine, journal d’un siège porte en lui l’honneur et le courage de ces milliers de femmes, d’hommes et d’enfants qui défilent devant la caméra d’Abdallah Al-Khatib, et qui ont lutté, des années durant, contre un régime qui a cherché à les étouffer et à les détruire, puisant dans ce qu’il y a de pire chez l’être humain. Ce témoignage, saisissant, éclaire et dresse une communauté face à l’Histoire, devant la lâcheté de ceux qui, loin de leur peine, les ont abandonnés.

Damas, 2013. Abdallah, jeune homme épris de ceux qui l’entourent, décide de prendre sa caméra, avec quelques amis, et d’aller à la rencontre de sa communauté, qui se trouve peu à peu coupée du monde par le régime au pouvoir. N’ayant plus de quoi se nourrir, n’ayant plus accès aux soins les plus basiques, les réfugiés du camp de Yarmouk vont lutter, tant bien que mal, pour survivre et se soulever contre la fatalité. Dans l’indifférence générale des puissances occidentales à qui ils demandent pourtant secours, femmes et hommes cherchent à maintenir un semblant de vie dans les ténèbres, alors que s’abattent les obus de Bachar…

Des enfants qui errent dans les rues dévastées de la capitale syrienne jusqu’aux anciens à l’article de la mort, le jeune cinéaste n’oublie personne et donne une parole nécessaire à celles et ceux qui ont été volontairement invisibilisés. Pareil témoignage, pensé comme tel, sous la forme d’un journal, cru, au plus près de la réalité, est fondamental en ce qu’il ne peut être remplacé par un quelconque effort journalistique ou tentative de reconstitution. Sa force-même réside dans son ancrage viscéral dans la réalité des habitants de Yarmouk entre 2013 et 2015, qui ont subi des atrocités difficilement imaginables et sur lequel personne n’a le recul nécessaire pour en livrer une reproduction fidèle et pertinente ; seul celui qui a eu l’audace, le courage et la volition de se saisir de sa caméra au moment où un monde s’écroulait autour de lui, peut donner à voir une trace de ce qu’a été Yarmouk, ce qu’ont enduré ceux qui l’ont peuplé.

Mais la spontanéité et le panache de cette initiative documentaire n’enlève en rien l’envie de cinéma qui saisit son auteur. Al-Khatib tente, avec les très modestes moyens qui sont les siens sur le tournage, à capter quelque chose du réel, en le retranscrivant de la manière la plus honnête et fidèle qu’il soit, tout en produisant une œuvre d’une richesse esthétique notable. Il y a geste de cinéma dans ce que propose le réalisateur palestinien. Les cadres choisis, les mouvements de caméra, la forme sélectionnée pour rendre au mieux les rencontres avec les habitantes, la manière d’interviewer ceux qui font la vie de Yarmouk, tout concourt à donner une dimension profondément cinématographique à une œuvre qui devient réellement un acte de cinéma, un film documentaire.

Ces considérations artistiques, intéressantes certes, ne sont toutefois pas ce qui imprime sa marque le plus puissamment dans l’esprit du spectateur. L’essentiel est ailleurs. L’essentiel est dans le regard éteint de cette femme âgée, gravement malade qui subsiste grâce à la générosité et au dévouement de Oum Mahmoud, la mère d’Abdallah. L’essentiel est dans le sourire de ces jeunes garçons qui parlent de leurs rêves, terriblement dignes. L’essentiel est dans la voix du patriarche, qui chante l’espoir – en arabe et en anglais – d’un peuple qui n’en a plus. L’essentiel est dans l’intelligence désabusée de Tasnim, petite fille qui cherchent des mauvaises herbes comestibles pour se nourrir, qui n’est plus surprise par les bombardements et n’a plus peur de la mort.

Little Palestine, journal d’un siège est de ces œuvres précieuses, indélébiles empreintes d’une souffrance qui ne passe pas, d’une douleur diffuse qui change le destin des gens qui la subissent. Fugaces cicatrices sont celles que peint, avec une paradoxale tranquillité au cœur de l’orage, Abdallah Al-Khatib. A l’image de son peuple, il se tient droit, digne, courageux, face aux monstres et devant l’Histoire, laissant transparaître les rayons d’un soleil affaibli dans le ciel noirci par l’émanation des explosions.

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