Cinéma

Nightmare Alley – Parc atone

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Depuis son incursion dans la science-fiction en 2013 avec Pacific Rim, les trois derniers films de Guillermo Del Toro ont tous été tournés vers le 20e siècle, dans un hommage assumé au cinéma classique américain. Ces reconstitutions historiques sont autant d’occasions d’accorder un soin tout particulier aux décors, La forme de l’eau ayant été largement commenté à ce sujet, et Nightmare Alley donnant parfois l’impression de tendre volontairement vers le film-musée. On ne compte pas les plans où l’on voit Bradley Cooper déambuler dans des halls d’immeuble, des couloirs richement éclairés ou entre les chapiteaux d’un cirque, majoritairement en contre-plongée, comme pour exagérer la démesure de son environnement. Cette démarche de passionné un peu stérile, si elle parvient occasionnellement à séduire, amène lentement le cinéma du réalisateur dans une impasse artistique.

Au cours de la première partie de Nighmare Alley (de loin la meilleure du film, notamment par les espoirs qu’elle fait miroiter sur la seconde), Stanton Carlisle, le personnage central, est réfugié dans un freak show isolé du monde. Séparé de la société par quelques plans larges nous dévoilant une nature s’étendant à perte de vue, ce monde dans le monde, battu par la pluie et plongé dans le brouillard, laisse entrevoir de nombreuses curiosités qui se révéleront n’être rien d’autre que des artifices. Pour la première fois de sa carrière, Del Toro fuit constamment le fantastique, répétant à plusieurs reprises un procédé qui consiste à laisser croire au don de mentaliste de son héros pour finalement en révéler pragmatiquement les ficelles. Pour celui qui sait à quoi s’attendre, cette dynamique finit rapidement par lasser, et pour ceux qui persistent à espérer l’arrivée d’un évènement extraordinaire, il n’en ressort qu’une suite de déceptions croissantes.

Dans la seconde partie, l’opacité fascinante du cirque est remplacée par la bourgeoisie urbaine au sein de laquelle Stanton évolue avec succès. C’est durant ce segment que Nighmare Alley s’essouffle. Là où le début laissait vivre un microcosme qu’il s’agissait surtout d’observer (il s’écoule plusieurs minutes avant que Stanton ne dise un mot), tout ce qui a lieu en ville se doit de « raconter quelque chose », embarquant progressivement le film sur un chemin narratif plus balisé. Ce qu’il y avait de fascinant dans la fête foraine, c’était l’évidence qu’il ne s’agissait que d’une introduction. Chaque détail ouvrait donc un large éventail de possibilités, là où la deuxième moitié se contente de fermer des pistes potentielles.

Tout cela n’a rien d’un hasard, le film tout entier se construisant sur une opposition entre les manipulations glacées de New York et la chaleur humaine des forains. Il est amusant de voir que ce sont des transports en commun (bus au début et train à la fin) qui amènent Stanton au cirque, alors que c’est en voiture qu’il se rend en ville. La première partie donne effectivement envie de se laisser porter, tandis que la seconde semble avoir une destination bien précise qu’il faudrait rejoindre. Ce fonctionnement en diptyque sous-tend en réalité un propos politique assez banal, qui voudrait montrer la troupe itinérante comme vivante et accueillante, alors que les grandes fortunes mondaines ne font que se mentir et se tromper entre elles. A ce titre, le film réorganise l’adage « l’argent ne fait pas le bonheur » et en propose une sorte d’étonnante inversion qui serait « le malheur fait l’argent » : c’est le traumatisme passé de Stanton qui en fait le seul forain assez ambitieux pour rejoindre la vie luxueuse de New-York, où il ne rencontrera que des individus aussi torturés que lui.

Mais tout cela n’est jamais réellement mis en scène, la caméra de Del Toro peinant à dépasser sa fascination pour ses décors lumineux et grandioses. Piégé dans cette culture de l’hommage évoquée au début, il se satisfait d’une promenade dans le monde qu’il a lui-même créé. Son film échoue dès lors à être autre chose qu’une relecture fataliste du mythe d’Icare, forme altérée du rise and fall au classicisme décevant. Même l’illustration du mensonge sur le fantastique par Stanton ne fait que répéter des poncifs, surnaturel et imitation du surnaturel ne trouvant pas de divergence concrète. Finalement, de cette potentielle réflexion sur le travail de cinéaste de genre, Del Toro ne tire rien d’autre qu’une visite de ses propres studios, apparemment passionné par le talent de sa chef décoratrice.

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