Cinéma

Matrix Resurrections (1) – Du plaisir authentique au plaisir coupable

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Cette critique évoquera quelques spoilers de Matrix 4, il est donc conseillé de lire la critique après avoir vu le film.

La sortie de Matrix en 1999 fut certainement un évènement qui marqua et transforma à jamais l’histoire du cinéma et notamment celle de la science-fiction. Le film nous posa une question : « Qu’est-ce que la matrice ? ». Une seule question qui guida toute l’intrigue du premier film, du quotidien de Neo comme simple rouage de cette matrice jusqu’à qu’il devienne l’Elu. Une seule question qui fut capable de saisir le spectateur tout entier dans une histoire pleine d’action, de scènes de combats mémorables telles que l’affrontement légendaire dans le métro entre Neo et Smith. Une seule question qui nous plongea dans l’émouvante histoire d’amour de Neo et de Trinity. Une seule question qui souleva de vrais problèmes philosophiques et qui suscita une véritable réflexion chez le spectateur sur des notions telles que la liberté, le possible, l’impossible et la vérité. Le premier film était d’évidence un chef-d’oeuvre.   

Ensuite vinrent le deuxième et le troisième film de la trilogie. Ces films, bien qu’ils eussent leurs mérites, leurs scènes de combat mémorables, de nouveaux personnages intéressants et importants (tels que l’Architecte, le Mérovingien et Sami), bien qu’ils nous introduisissent à une autre réalité que celle de la matrice (celle du combat entre les humains de Zion et les machines) ne réussirent pas à égaler leur prédécesseur. Les effets spéciaux ont commencé à prendre trop de place dans les scènes de combat, Neo était devenu un peu trop Superman, et même si elle reste impressionnante, la scène de combat finale entre Neo et Smith ressemblait à une scène de combat tirée de Dragon Ball. Ces films, toutefois, même si pas aussi bons que le premier, ont réussi à édifier et consolider une véritable trilogie qui était cohérente dans son ensemble.

Puis arriva Matrix Resurrections, presque vingt ans après la trilogie initiale. Le constat que je peux donner, après avoir vu ce film, est le suivant : Matrix 4 est à la fois un film qui peut être apprécié et un film qui n’avait pas lieu d’être. Comment comprendre ce paradoxe ?

Matrix 4 est un film ambitieux, qui veut reprendre une trilogie d’apparence achevée et la prolonger, en tirant les ficelles plus loin. Sauf qu’à certains moments, il n’y a précisément plus trop de ficelles à tirer. Lana Wachowski et les producteurs semblent indirectement reconnaître cela au début du film, quand Neo et son patron discutent d’un nouveau jeu vidéo produit dans la Matrice et qui semble raconter l’histoire de la trilogie originale, en évoquant ironiquement le fait que Warner Bros voulait absolument faire un quatrième film sans raisons particulières. L’ironie de ce début indique qu’effectivement, les producteurs ont cherché à aller plus loin que ce qu’ils ne devaient le faire.

Et cela se sent dans quelques éléments importants qui surviennent ensuite dans l’intrigue : la résurrection de Neo et de Trinity par exemple, qui semble à première vue incompréhensible et dont l’explication paraît en réalité un peu tirée par les cheveux. De plus, le film comporte un vide qui se sent rapidement dû au fait de l’absence de certains acteurs iconiques de la trilogie initiale : Laurence Fishburne est absent en tant que Morpheus, et les producteurs nous guident vers une fausse idée selon laquelle il serait de retour mais d’une manière différente, incarné cette fois-ci par Yahya Abdul-Mateen. Surtout, il est très regrettable de ne plus voir Hugo Weaving dans le rôle de l’Agent Smith. Ce qui rendait en effet le deuxième et le troisième film quand même bien appréciables, et le premier incroyable, c’était la connexion manichéenne et fondamentale entre Neo et Smith, représentant deux plateaux d’une balance qui paraissait équilibrer la Matrice. Cette relation semble être laissée de côté au profit de la relation entre Neo et Trinity, qui devient désormais le socle du nouveau film. Les personnages qui remplacent Morpheus et Smith ne sont pas aussi charismatiques que les originaux, et même si le psy fait un bel effort pour être à la hauteur de l’imposante figure de l’Architecte et de sa logique implacable, il n’y parvient pas véritablement car il se fait battre dans ses ambitions et ses raisonnements trop facilement par Neo et Trinity lors du dénouement. 

Ce qui est très dommageable finalement, c’est que Matrix 4 semble détruire une fin honorable et en réalité digne d’une belle trilogie, pour la remplacer par une fin trop « heureuse » et incohérente, qui rendrait justice à l’amour de Neo et de Trinity. Cette fin détruit la catharsis qui honorait la fin du troisième film, liée à la réalisation du destin que l’Oracle avait prévu pour Neo. Or, le plaisir tiré de cette catharsis à la fin du troisième film est substitué par un plaisir beaucoup moins intense et efficace que celui apporté par l’achèvement de la trilogie initiale.  

C’est précisément à cause de cela que je trouve que Matrix 4 devient en réalité un plaisir coupable pour le spectateur, alors que la trilogie initiale apportait, au contraire, un plaisir authentique. Ce film a certes quelques points positifs – les scènes de combat, la réapparition imposante de Neo, l’exposition et l’exploration d’Io, la nouvelle citée dirigée par la générale Niobe, et notamment sa réapparition et l’approfondissement psychologique d’un personnage réticent à l’idée de l’existence de l’Elu.

Mais l’existence de Matrix 4 prouve en fait, finalement, que la trilogie formait un tout cohérent qui semble maintenant incohérent avec un quatrième film sans raison d’être, si ce n’est présenter l’univers de Matrix aux nouvelles générations et faire du fan service plus ou moins réussi pour ceux qui étaient déjà familiers de l’univers. Paradoxalement, Matrix 4 semble prouver que le deuxième et le troisième film ne sont finalement pas si mauvais que ça – car même si Matrix 4 procure un certain plaisir temporaire au spectateur, ce plaisir est un plaisir coupable. Le film ne trouve pas vraiment sa place dans une saga qui ne méritait pas d’aller au-delà de la trilogie originale.

4.5

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