Cinéma

Suspiria – Et Argento inventa le rouge

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Bon nombre de réalisateurs savent faire émerger avec brio ce sentiment presque insupportable mais ô combien nécessaire qu’est l’angoisse dans une expérience qui se veut horrifique. Dans Suspiria de Dario Argento, c’est le lieu principal de l’action, une école de danse, et surtout la manière dont il est filmé qui provoque cette angoisse.

Suspiria est un film italien sorti en 1977. Il marque une rupture dans la filmographie d’Argento. Celui-ci s’éloigne de son genre de prédilection, le Giallo – film italien mélangeant les genres policiers, horrifiques et parfois érotiques , pour s’aventurer dans le cinéma fantastique. Le film narre l’arrivée d’une jeune danseuse américaine dans une prestigieuse école de ballet en Allemagne. Dès ses premiers pas dans l’école, la jeune femme fait face à l’étrange atmosphère du lieu, tandis qu’une élève qu’elle avait croisé à son arrivée est retrouvée assassinée. S’ensuit alors pour l’héroïne une plongée dans un univers de plus en plus mystique.

Le génie de Suspiria réside dans une multitude de facteurs, et la plus grande force du film reste sans doute sa mise en scène. Dario Argento nous livre dans ce film une leçon totale. Le travail sur l’esthétique et les couleurs est sublime, le film étant l’un des derniers à utiliser le procédé Technicolor. Les couleurs primaires sont omniprésentes dans le film, lui donnant ainsi son grain et son esthétique si particulière. Ce jeu sur les couleurs ne sert d’ailleurs pas qu’à donner lieu à de belles scènes : il participe pleinement à l’atmosphère horrifique du film, comme lors d’une scène où le spectateur voit la lumière principale de la pièce filmée s’éteindre pour laisser place à une lumière verte, annonçant le sort tragique qui attend l’un des personnages. Les multiples scènes qui mettent la couleur rouge à l’honneur sont quant à elles empreintes de symbolisme sur le meurtre et l’angoisse.

Au-delà des lumières, c’est le travail sur les décors qui impressione. La quasi entièreté du film se déroule dans un unique lieu, l’école de danse, qui devient la principale source du sentiment d’anxiété chez le spectateur. Argento parvient à filmer cette bâtisse sans jamais nous permettre de nous en faire une géographie précise, à travers des effets d’ellipses comme dans la première scène de meurtre qui renforcent notre incompréhension et notre sentiment d’angoisse. Chaque pièce semble avoir été entièrement pensée pour susciter émerveillement et frayeur. L’architecture des lieux est fascinante : le style oscille entre art déco et art nouveau, et Argento sait comment filmer ces couloirs qui semblent interminables et ces pièces anxiogènes à souhait.

Il convient également de noter le travail sonore du film. La bande originale a été composée par le groupe italien de rock progressif Goblin. Outre le mémorable thème principal du film, ce sont les divers effets sonores, comme les chuchotements ou les soupirs qui viennent s’ajouter à la musique, qui enrichissent l’expérience sensorielle qu’est Suspiria. La spatialisation du son est également saisissante, avec un brillant jeu sur les effets stéréos lors du dernier acte servant à créer une tension presque insoutenable. Enfin, Argento utilise parfaitement la musique pour créer ces moments de tension, comme lorsqu’il arrête brusquement le thème principal à certains moments du film.

Suspiria est une expérience visuelle captivante, presque hypnotique, mais Argento n’a toutefois pas délaissé le fond pour la forme. Le film est inspiré des contes de Grimm comme Blanche-Neige, avec un aspect ésotérique beaucoup plus appuyé. Argento dit aussi s’être inspiré de certains de ses cauchemars, ce qui permet d’expliquer certaines incohérences dans le récit ou le montage incohérences qui contribuent grandement à l’ambiance mystérieuse du film. Suspiria n’est donc certainement pas à voir pour son scénario. Celui-ci n’est qu’un prétexte pour une expérience mystique et horrifique, saupoudrée d’éléments gores parfois empruntés au Giallo, le tout avec un charme et une esthétique singulière qui font de ce film un classique du cinéma d’horreur.

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