Cinéma

The French Dispatch – Savourer ses illusions

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Le monde de Wes Anderson est une maison de poupées, où se dévoilent à ceux qui s’approchent des miniatures pastels comme autant de scénettes où rivalisent une galerie d’acteurs fétiches qui décrochent le sourire du spectateur de la salle obscure. Le monde de Wes Anderson est celui de l’innocence, des coupables sympathiques et des enfants héros d’aventures à faire pâlir les éphèbes en costard du cinéma américain. Le monde de Wes Anderson dévoile une sensibilité sans égal, caresse visuelle, étreinte de son et d’image au pouvoir incomparable.

The French Dispatch est tout cela à la fois, synthèse d’un réalisateur inimitable, exercice de style sans égal dans le cinéma actuel, à part peut-être chez Martin Scorsese. Il se dévoile comme une gazette, Cinémat’hec d’une France rêvée à l’innocence de Charles Trenet, en un prélude, trois histoires et un épilogue.
A la croisée du théâtre, du papier glacé et d’une série de tableaux style American Gothic, The French Dispatch se présente comme l’œuvre la plus aboutie visuellement d’un réalisateur à la patte pourtant si établie et portée aux nues par la critique, mais qui dévoile ici un virage subtil qui enrichit largement l’esthétique rose bonbon du Grand Budapest Hôtel, dernière œuvre hors animation du réalisateur. Grâce à un travail inédit de couleur, à une réinterprétation du rapport à la profondeur, au-delà des traditionnelles symétries et de cette impression 2D si typique, il offre 103 minutes de beauté sensible, d’images qu’on aimerait voir encore et encore comme on regarde un paysage se dévoiler au fil des secondes qui passent.

La théâtralité du cinéma de Wes Anderson trouve encore ici une mise en abyme des plus réussie, grâce à une approche suffisamment affranchie du réalisme pour y dévoiler sa douceur aux airs de comptine pour enfant. The French Dispatch réchauffe les cœurs, ne vous-y trompez pas, c’est là sa force. Il ne vise pas à emporter les Don Quichotte de cinéma à l’attaque d’antagonistes aux moustaches fines, tenues de boy scouts ou turbans de sikhs. Et si l’absence de continuité narrative empêche partiellement de développer de nouvelles thématiques au-delà de ce que le réalisateur a su dévoiler jusqu’à présent, elle permet paradoxalement d’ouvrir de nouvelles perspectives émotionnelles, cinquante nuances de plaisir sourd, quelques dizaines de pages de pellicule pour quelques dizaines de minutes d’émerveillement.
The French Dispatch a les vertus des films de l’expressionnisme allemand, cet air de vieillir sans vieillir, plastique factice comme antidote au botox visuel. Rendre le vrai faux, au lieu de rendre le faux vrai, hommage aux costumes, aux décors, au montage, miser sur un artisanat du cinéma, loin des prouesses visuelles de la science-fiction, mais plus proche du cœur.

The French Dispatch manque probablement d’audace narrative, il manque probablement de quelques minutes supplémentaires pour que le présent prenne en substance en comparaison de ces tableaux narrés qui font la structure du long-métrage. Il déroutera probablement ceux qui restent insensibles au style Wes Anderson, adeptes d’explosions boursoufflées de numérique ou de drames aux airs d’abîme de l’âme. The French Dispatch n’a pas été récompensé à Cannes, il ne le sera probablement pas ailleurs.
Mais c’est là attribuer au cinéma une dimension que chaque réalisateur doit pouvoir légitimement repousser. L’ère n’est pas à la poésie visuelle, l’ère n’est pas aux contes, l’ère n’est pas à l’expérimentation visuelle. Alors peut-être autant que son esthétique, The French Dispatch n’est pas un film contemporain. Il n’instrumentalise ni les enjeux de société ni la tribune qu’offre le cinéma. Il ne cherche pas les larmes ou l’argent du spectateur, il ne cherche pas à asséner sa morale ou son discours, il se dévoile par touches.

The French Dispatch signe la sortie du cinéma. Certes, formule paradoxale, mais comprendre qu’il est une œuvre hybride, qu’il pourrait inaugurer un nouvel art ambigu, ni tout-à-fait poème visuel, ni collage, ni dessin, ni film. En cela, il est bien plus que la continuité de la filmographie de son réalisateur.
Et même si certains s’y arrêteront à coup sûr, The French Dispatch entérine un dépassement artistique qui va bien au-delà d’une prouesse stylistique, ni vraiment art pour l’art, ni manifeste militant.
Un jour peut-être faudra-t-il apprendre à ne pas trop attendre des films, non pas pour en maquiller la médiocrité mais pour en savourer plus naïvement la douceur. The French Dispatch s’apprécie comme une dragée, à sucer doucement jusqu’à l’amande, profiter du sucre, puis soudain croquer un grand coup et rigoler.

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