Cinéma

Adieu Monsieur Haffmann – Sublime adieu à Monsieur Haffmann

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Cette critique évoquera des spoilers du film, il est donc conseillé de lire la critique après avoir vu le film.

22 Juin 1940 : la France, incapable de s’organiser pour contrer l’avancée des troupes du régime nazi, est obligée de capituler et de signer l’armistice – c’est la défaite de 1940 qui annonce la mort de la République. 10 Juillet 1940 : le Parlement, accablé par le désespoir qui pèse sur la France, considère que la seule solution est d’octroyer les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain – la République, comme certains le disent, se suicide à ce moment-là, où en tout cas, elle meurt. 14 Juin 1941 : le régime de Vichy décrète la deuxième loi portant sur le statut des Juifs, qui marque le début de la persécution d’État contre les Juifs en France, rapidement suivie par la déportation de ces derniers en collaboration avec l’Allemagne nazie.

Retourner dans ce contexte historique, se replonger à nouveau dans cette sombre période de la France, c’est ce qui permet de rentrer directement dans l’ambiance du nouveau film de Fred Cavayé – une adaptation de la pièce de théâtre de Jean-Philippe Daguerre du même nom. Monsieur Hoffmann, un bijoutier juif propriétaire d’une boutique à son nom, se retrouve rapidement coincé dans son propre magasin alors que sa famille s’enfuit. Il vivra dans l’espoir de revoir sa famille, mais aussi dans le désespoir de se trouver coincé dans un huis clos où des patrouilles nazies chassent les siens.

Ce film parvient, je trouve, à très bien nous replacer dans ce contexte, et remplit par conséquent son ambition d’être un drame historique. Les soldats nazis sont imposants, terrifiants – quand ils parlent avec Mercier, qu’ils le regardent, le spectre de la mort apparaît instantanément. Étant un drame historique qui se veut retourner aux temps de l’Occupation, on s’attend bien sûr à des scènes de tension où l’on a peur de voir Monsieur Haffmann se faire capturer par les nazis ; lorsque la scène arrive, elle réussit très bien, par un jeu macabre d’alternance de plans et par le maniement du silence, à susciter cette tension. Les fêtes des soldats nazis en France sont contaminées par un sarcasme éhonté, au moment où ils s’amusent et jouissent des richesses expropriées aux Juifs, chassés et emprisonnés. Tous les éléments sont réunis dans cette alchimie du mal pour reconstituer un cadre historique saisissant et oppressant.

Le point le plus fort de ce film, c’est l’évolution des personnages dans l’intrigue et leur métamorphose psychologique profonde. François Mercier est d’abord un homme simple, quelqu’un qui ne se croit pas être à la mesure de reprendre le business de son patron. Blanche est d’abord l’image d’une femme naïve, douce mais innocente, ce qui peut faire penser à une représentation stéréotypée de la femme. Puis ces deux personnages, chacun à leur manière, deviennent l’antithèse de ce qu’ils étaient au début. Mercier devient arrogant, prétentieux, méprisant – voilà la première métamorphose psychologique. Mercier devient un prédateur, un agresseur – voilà la seconde métamorphose psychologique. Blanche, à son tour, devient plus mûre, plus attentive, plus clairvoyante – elle se rend bien compte que son mari a perdu la tête quand il accepte de devenir un « salaud » et de dénoncer Monsieur Hoffmann. Et l’aggravation de l’ambiance extérieure, l’intensification de la déportation, dressent un arrière-fond qui sert de catalyseur à ces métamorphoses psychologiques.  

Fred Cavayé veut prendre le contre-pied des drames historiques plus communs qui ont lieu sous l’Occupation : il ne s’agit plus d’accompagner les Résistants dans leur bataille pour la Libération, mais d’accompagner les « salauds » et les collaborateurs, des gens ordinaires qui ne veulent pas se battre, qui ne veulent pas résister ; l’échec de maîtriser ses désirs, de se laisser tenter par le prestige, la richesse, est ce qui les transforme en des monstres ordinaires. Mercier devient une forme de monstre ordinaire : quelqu’un qui se rend ordinairement coupable, sans en être responsable, des atrocités commises par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. L’exemple le plus marquant, c’est quand il pousse Monsieur Hoffmann à confectionner des bijoux à partir de pierres précieuses données par les Allemands qui viennent en réalité des richesses expropriées aux juifs. L’insoumission et le silence le rendent coupable ; silence métaphorique accompagné de plusieurs moments de silence-même dans l’enchaînement des séquences qui ne font qu’aviver les tensions suscitées par ce film.

Pour moi, le plaisir suprême de cette œuvre cinématographique réside dans le dénouement cathartique, qui est la manifestation même de l’ironie du destin, d’un karma mystique qui rentre en contraste avec la réalité dramatique du film. La décision finale de Blanche, de sacrifier son mari pour sauver Monsieur Haffmann, n’est pas seulement la marque de cette ironie suprême qui se retourne contre Mercier, mais c’est aussi la marque de l’achèvement de la maturité de Blanche, qui devient véritablement indépendante, qui s’affranchit des stéréotypes attachés à une figure féminine fragile pour agir conformément à la raison, et plus seulement conformément ses passions. Quand Mercier est emprisonné, au moment où les nazis le prennent pour un juif, et quand il crie, dans sa cellule, qu’il est un ami du commandant Jünger, devant tous les juifs, il devient un pauvre misérable jugé et condamné par le destin. 

Voilà pour moi où se trouve tout le plaisir de ce film, dans le contraste entre une réalité dramatique très oppressante et un enchaînement causal d’évènements « mystiques » – à l’image du destin chez les Stoïciens – qui réalise pleinement une forme de catharsis libératrice chez le spectateur. Le dénouement aurait aussi pu être cathartique négativement, mais cette catharsis positive est le signe pour le spectateur que Monsieur Hoffmann et les autres Juifs ont un espoir pour leur avenir et leur survie. La scène finale, au moment où la femme de Monsieur Hoffmann le fixe et où son regard traduit mille émotions en un instant, est un moment qui achève cette œuvre cinématographique de manière sublime – une petite larme pourrait même venir perler à ce moment-là.

9

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