Cinéma

Benedetta – Le plomb et l’or

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Lorsque Paul Verhoeven, Virginie Efira et consort se sont présentés sur le tapis rouge, quelques minutes avant de présenter Benedetta, c’est peu dire si l’excitation était à son comble. Favorable présage pour un film qui prétend briser les tabous de l’homosexualité dans l’Église, signe aussi que Benedetta a su se faire attendre et profiter des circonstances. Prévu l’année dernière sur la Croisette, il peut désormais compter sur le retour au sommet de son actrice principale, accompagnée par une distribution des plus solides, Charlotte Rampling et Lambert Wilson obligent.
Mais le cinéma, contrairement à Benedetta, n’est pas une affaire de mystique, et les miracles dont il accouche paraissent paradoxalement plus véritables que ceux que Paul Verhoeven et tous ceux qui se sont essayés à l’exercice difficile et quelque peu éculé du film médiéval mettent en scène.

Benedetta a tout d’un « film vision » au propre et au figuré. On y accompagne Benedetta, sœur au couvent des Théatines de Pescia, entre visions de la Vierge et du Christ et expériences lesbiennes avec une jeune coreligionnaire, dans un monde où la peste et l’obscurantisme règnent encore en maîtres.
Alliage inhabituel donc, puisque que contrairement aux maîtres du genre, comme l’excellentissime Nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud, il n’est pas question de lutte pour ou contre la Raison. Benedetta lie au contraire fantasmes sexuels et religieux dans un accord assez intriguant, quoiqu’un peu scabreux, tant il a été surabondamment employé dans un genre qu’un vénérable festival d’art et d’essai ne saurait promouvoir.

Scabreux ou pas, Benedetta, comme Basic Instinct du même Verhoeven avant lui, repose sur sa tension sexuelle, martelée au moyen d’une approche délibérément explicite et quasi surnaturelle des pulsions de son personnage principal, au risque cette fois-ci d’un raté assez grossier. Car si le caractère érotique du long-métrage n’est pas en question, c’est bien de tension dont il s’agit.
La suggestion au cinéma n’a rien d’une découverte récente. Elle assure un rapport mystérieux aux personnages et aux situations qui place le spectateur en situation inconfortable. De ce malaise tout en non-dits et en impuissance naît la tension qui manque si manifestement à Benedetta. Dès lors, la liberté sexuelle de la protagoniste n’est ni menacée ni émancipatrice, elle est un fait qui malheureusement paraît assez anachronique, jusqu’à ce qu’enfin le scénario daigne opposer la mystique à la réalité sordide et cynique d’ici-bas, dans le dernier acte d’un film à la structure trop convenue.

L’objet du mystère de Benedetta repose bien plus sur l’ambiguïté bienvenue de la sainteté de son héroïne que sur son effusion érotique, ce qui fait de la sexualité un prétexte bien plus qu’un objet central, quand bien même elle est traitée comme telle. En résulte un décalage que les décors magnifiques, les performances impeccables de Charlotte Rampling et Lambert Wilson et la majestueuse partition musicale d’Anne Dudley ne peuvent masquer.
Benedetta se présente donc comme une occasion manquée. Occasion manquée d’interroger la falsification et un certain rapport au fanatisme et au doute. Benedetta parvient pourtant presque à faire passer ses bourreaux et détracteurs pour des hommes et femmes de raison, en dépit de leur conception de l’homosexualité et de la torture comme instrument de vérité.

De ce renversement aurait pu naître un équilibre subtil, complexe et étonnamment moderne. Au lieu de cela, ceux qui osent douter versent rapidement dans la jalousie vile et sont châtiés comme par une grossière punition divine, au service d’un personnage que les contradictions n’effraient pas.

Il est difficile de croire que l’on puisse voir Dieu lui-même mais pas un trou dans un mur. Il est également difficile d’adhérer à l’apparente métaphore christique que Verhoeven cherche à personnifier. Contrairement au Christ lui-même, Benedetta ne fait que subir, au point qu’elle n’est pas actrice de son propre récit. Difficile alors d’en vouloir à Virginie Efira, dont la prestation tout en excès paraît relever de l’impossible.

Dès lors, Benedetta laisse bien incrédule, comble de l’embarrassant tant la vision se voulait transcendante et séduisante. On ne fait pas du cinéma comme on entre en religion, en croyant que la foi seule convaincra le spectateur. On ne peut pas non plus faire du cinéma comme on fait de l’alchimie, et mélanger des acteurs en vue, de l’irrévérence et une bonne dose d’occasions manquées pour transformer le plomb en Palme d’Or.

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