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Close – Lukas Dhont

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C’est une sensation extraordinaire et délicieuse que de pleurer au cinéma. Dans ces salles obscures, la tristesse est teintée d’un autre sentiment, quelque chose d’agréable que je n’ai jamais vraiment su saisir. Mes larmes ont eu le temps de cesser depuis que je suis sorti du cinéma où était projeté Close, le nouveau film de Lukas Dhont, et je tente depuis de comprendre pourquoi elles ont été aussi douces. Voilà les conclusions auxquelles je suis parvenu.

C’est dans l’euphorie et l’intimité d’un jeu d’enfants que débute Close. Enveloppés dans une semi-pénombre, deux amis s’échangent des sourires, des regards et des mots qui révèlent en quelques secondes l’étendue de leur complicité. Ils s’imaginent entendre les pas lourds d’une armée invisible venue les assaillir, et qu’ils fuient ensemble. Mais les périls que connaîtra leur attachement réciproque seront bien plus insidieux que cette innocente fiction et ne naîtront qu’avec une simple question, posée par une camarade : « Vous êtes ensemble ? ». Si Rémi l’entend avec détachement, Léo prend cette interrogation comme une insinuation mesquine dont il se défend avec agressivité. Dès lors, le spectateur voit sa nostalgie entachée par le souvenir désagréable de la forte prégnance des normes au sein des cours de récré, face auxquelles la pureté se trouve bien démunie. 

Il n’est pas que la beauté de cette relation initiale – dénuée d’ambiguïté pour la simple raison qu’on n’y accorde pas encore la moindre pensée – qui soit traitée dans le film. Tout le long-métrage est baigné dans une atmosphère onirique : les couleurs et les visages sont doux, les personnages emploient ponctuellement un langage qui nous est inconnu, ils traversent en courant des champs de fleurs violettes et blanches. Close est un plaisir visuel qui tranche avec la dureté de certains de ses thèmes. Il arrive cependant que le fond corrompe la forme : les fleurs si jolies de jour sont ramassées laborieusement et bruyamment de nuit, les couleurs se ternissent durant les sessions de hockey – sport dans lequel Léo s’est engagé notamment pour mettre Rémi à distance et affirmer sa masculinité, le langage devient instrument de douleur et, paradoxalement, de dissimulation.

Derrière ce terme monolithique, Close, se dissimule donc une multitude de questionnements : qu’est-ce qu’être proche ? Pourquoi devrait-on se montrer plus proche de l’objet de son amour que de celui de son amitié ? De qui nous sentons nous véritablement le frère ? Ce dernier élément, la fraternité, est brillamment mis en image par Lukas Dhont : Léo, perdu en l’absence de son frère de cœur, trouve un réconfort paradoxal dans l’affection réservée que lui porte son frère de sang. Celui-ci ne peut qu’avouer sans fausseté son ignorance vis-à-vis de la douleur ressentie par son cadet, tout en lui proposant le réconfort de ses bras. Cette subtilité donne lieu à un plan sublime, qui s’étend confortablement dans le temps et dans l’imaginaire du spectateur. C’est là une des forces de Close : avec une économie de mots et un rythme aérien, il propose des perspectives passionnantes sur l’homophobie ordinaire, la culpabilité, l’enfance et le pardon sans jamais se disperser ni desservir son propos. 

Toutes ces nuances sont superbement portées à l’écran par deux jeunes acteurs époustouflants, Eden Dambrine (Léo) et Gustave De Waele (Rémi), dont le tandem rappelle que les jeunes talents crèvent autant l’écran que les expérimentés. Léo est un enfant qui se protège des regards, qui observe et conserve par réflexe une retenue, ce qui rend les scènes où il se laisse aller d’autant plus déchirantes. C’est au cours de ces scènes que Léo cesse de se chercher et de prendre une distance vis-à-vis de lui-même. Il ne pense plus aux regards, même plus au nôtre, il vit en tant qu’enfant et on ne peut que pleurer avec lui. Léo nous fait reconnaître notre humanité lorsqu’il s’abandonne à la sienne. Et c’est chose agréable que de reconnaître en autrui sa propre humanité. 

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