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Gagarine : la tête dans les étoiles

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Rêver plus grand, mission difficile pour des jeunes pour la vie n’est qu’un flot déferlant, emportant tout sur son passage, jusqu’à leur propre chez-eux. Premier long-métrage d’un prometteur duo de réalisateurs – Fanny Liatard & Jérémy Trouilh – Gagarine détone et étonne par son audace esthétique et par la sincérité envoûtante d’un récit qui allie habilement velléités naturalistes et inspirations surréalistes assumées. Déjà récipiendaire du label « Cannes 2020 », le film s’apprête à envahir nos salles obscures, théoriquement avant la fin de l’année, et ne manquera pas d’éveiller chez certains un intérêt peut-être inextinguible pour ses talentueux auteurs.

Adolescent ivryen, Youri grandit dans la cité Gagarine, cible d’un projet de démolition par l’État. Avec son meilleur ami Houssam et Diana, dont il va tomber amoureux, il va entreprendre tout ce qui est en son pouvoir pour mobiliser les habitants du quartier derrière un unique but commun : sauver leur cité. Le projet « Vaisseau spatial », nommé ainsi en raison du rêve du jeune Youri – devenir un jour, tel Gagarine, un cosmonaute découvrant des horizons inexplorés – va instiller le souffle qui finissait par manquer à un quartier qui ne mérite pas qu’on l’abandonne aussi lâchement.

Le pari du couple de réalisateurs est osé : raconter une fable contemporaine, mêlant onirisme et crudité du réel, au cœur d’une banlieue rouge déshéritée qui n’a pour seule force le courage et la vaillance de ceux qui la peuplent. Le choix de la cité Gagarine n’est par ailleurs pas qu’un simple clin d’œil aux ambitions du jeune Youri, car, en plus de porter le nom du premier homme à avoir accompli cette séculaire ambition de l’humanité, les bâtiments en question furent démolis, dans notre France bien réelle. La frontière entre fiction et réalité pourrait alors apparaître plus fine, mais Gagarine est loin d’être un documentaire et se révèle même être une sortie de secours, une échappatoire, quand la matérialité actuelle devient insupportable.

Seule la gravité, maître-mot du long-métrage, aussi bien dans son double-sens sémantique qui recouvre l’ensemble des facettes d’un scénario pourtant riche car jouant sur deux thématiques n’ayant que peu de choses à voir – l’immédiateté des problématiques quotidiennes et le rêve, l’ambition presque métaphysique de découverte de l’espace – que dans certains moments de réalisation – les séquences finales sont particulièrement parlantes à ce niveau-là mais ne divulgâchons pas – est à même de condenser tout ce que veulent exprimer les artistes qui se cachent derrière cette épique aventure humaine. Parce qu’en dehors de Jérémy Trouilh et Fanny Liatard, qui font preuve d’une rigueur exemplaire pour un premier long-métrage, et des acteurs plus ou moins connus qui apparaissent tout au long du récit – Lyna Khoudri, Alseni Bathily, Jamil McCraven et Finnegan Oldfield pour ne citer que les principaux – et développent à chaque fois leur jeu avec une justesse difficilement contestable, il faut délivrer une mention spéciale à Victor Seguin, chef-opérateur, qui construit des plans d’une qualité rare pour un film d’un tel budget, et à Amine Bouhafa et aux frères Galepine pour leur travail sur la bande originale.

Mais une fois cette analyse faite, de manière sans doute prolixe et bien moins esthétique que ce que propose le film, il est temps de regarder de plus près l’intention principielle des deux cinéastes français qui jaillit dans Gagarine. L’effort de mise en scène, le recours à une gamme variée de plans et à des mouvements de caméra originaux caractérisent d’entrée leur démarche et dénote une ambition certaine : donner au cinéma la couleur du rêve, non pas comme mirage ou chimère, mais comme point de départ à l’action, à l’initiative, venue d’en bas pour aller très haut, beaucoup plus haut que ce qu’on tente de nous imposer.

C’est là la grande force de Gagarine, film qui marque sans aucun doute le début d’une carrière emplie de tentatives pour Fanny Liatard et Jérémy Trouilh. Car, malgré d’inévitables imperfections, notamment dans l’intensité lacunaire donnée à certains moments du récit, le premier long-métrage des deux jeunes auteurs est porteur d’espoir, aussi bien dans sa forme, qui laisse à penser qu’un certain savoir-faire ne se perd pas et qu’il reste de la place pour l’inventivité, que dans son histoire, simple mais belle, celle d’un jeune homme et de ses amis qui n’ont que le ciel pour limite. Encore que…

 

Disponible au cinéma. Un jour ou l’autre.

 

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