Critiques

Hana Bi, ou la sobriété dans le feu d’artifice

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Le film a sans nul doute la faculté d’émouvoir son spectateur. Plus que toute autre forme d’art, le cinéma bouleverse, tant par ses récits et ses mots que par ses plans. Très peu d’éléments lui sont nécessaires. Pas besoin d’un scénario larmoyant, une simple image suffit pour susciter l’émotion.

Dans cette recherche de la sobriété, le 7ème film du réalisateur japonais Takeshi Kitano, Hana Bi est incontestablement un film qui fait référence. Malgré une histoire bouleversante, le traitement qui en est fait est détaché, presque froid. En un sens Kitano laisse au spectateur le soin de s’approprier son histoire.

Retour sur ce chef d’œuvre des années 90, film d’une vie pour Kitano, et lion d’Or au festival international du film de Venise de 1997.

Un drame en plusieurs volets

Hana bi ou Feu d’artifice en français, c’est l’histoire de Nishi, un ex-policier qui a démissionné à la suite d’une fusillade qui a couté la vie à l’un de ses collègues, et a rendu son partenaire de toujours Horibe paraplégique, divorcé et mélancolique. La femme de Nishi peine elle aussi à retrouver le plaisir de vivre. Leucémique, elle attend silencieusement à l’hôpital que la mort vienne la cueillir.

Nishi n’est lui non plus pas exempt de troubles. Personnellement endetté auprès de la mafia locale, et profondément affecté par l’évènement à l’origine de sa démission, son exutoire sera simple : malgré l’impression de froideur qu’il dégage, son souci premier sera d’égayer la vie de son entourage. Bien décidé à ne pas laisser le sort s’abattre sur eux, il décide de cambrioler une banque, pour rembourser ses dettes, acheter à son collègue Horibe du matériel de dessin, et emmener sa femme en voyage, en espérant lui offrir une mort plus paisible.

Parallèlement Kitano nous décrit le drame d’Horibe. Lui qui n’a jamais pensé qu’au boulot, il est aujourd’hui infirme, incapable de travailler, abandonné par sa femme et sa fille. Suite à une tentative de suicide qu’il échoue, Nishi lui enverra du matériel de dessin, en espérant qu’il puisse fuir ses pensées sombres et se réfugier dans la peinture.

Un film autobiographique : s’échapper

Hana bi n’est pas le seul film de Kitano où il joue lui-même le personnage principal. Mais c’est sûrement le film qui calque le mieux sa vie. Toutefois, l’impression est trompeuse : Kitano dans le film, ce n’est pas Nishi, le personnage principal, mais bien Horibe, son collègue dépressif.

Kitano revient ici sur un épisode de sa vie qui s’est déroulé trois ans auparavant : un accident de moto qui a failli lui coûter la vie. Suite à cet accident, qu’il a lui-même qualifié de « tentative de suicide inconsciente», et qui a paralysé une partie de son corps, il a repris la peinture.

La preuve-si l’on en avait encore besoin- qu’Horibe est bien Kitano, est que toutes les peintures exposées dans le film, et notamment celles réalisées par Horibe, le sont en fait par Kitano lui-même, et datent de cette période. A travers un style coloré, fleuri, et surréaliste qui n’est pas sans rappeler les peintures de Chagall, Horibe-et donc Kitano- tente de se soustraire à la réalité, et de s’échapper dans le monde du rêve, bien que la réalité finisse toujours par le rattraper.

C’est sur ce même schéma que se déroule le voyage de Nishi et de sa femme. Nishi qui voulait oublier le la dureté du monde avec sa femme, et vivre comme dans un rêve, se voit contraint de replonger dans le réel. Poursuivi par la mafia qui en a encore après son argent, il sacrifie sa propre paisibilité pour préserver celle de sa femme. Rempart contre le réel, Nishi sera celui qui fera face à la mafia pour que sa femme puisse rester insouciante quelques jours de plus.

L’aboutissement de la forme « kitanesque »

Malgré ces thèmes profondément intimes, l’impression qui se dégage  d’Hana bi est celle d’un film où sobriété et discrétion sont maîtres mots. Le regard porté sur les drames comme sur les scènes de violence est assez détaché, ce qui contribue à l’humour pince-sans-rire si caractéristique de Kitano. En bref, du rire derrière le sérieux, de la joie derrière la tristesse, de la beauté derrière la violence. Un film poétique, subtil, où le non-dit est omniprésent, et laissé à la libre interprétation du spectateur.

Mais plus simplement, les plans sont magnifiques -notamment une séquence qui montre les peintures réalisées par Kitano -, la musique de Joe Hisaishi est extraordinaire. C’est un film qui transporte un spectateur, qui a comme l’impression de suivre Nishi et sa femme dans leur voyage à travers le Japon.

En résumé, Hana Bi est une gifle d’émotions de la première à la dernière-surtout la dernière-seconde. C’est incontestablement le meilleur film de Kitano, et selon moi une excellente porte d’entrée pour découvrir toute la richesse du cinéma japonais.

10

Le mal-être psychologique confronté à la mort

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