Critiques

Tirailleurs – « On combat ensemble, on meurt ensemble »

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Je ne cache pas les a priori très négatifs sur le film que j’ai pu avoir avant sa sortie. Est- ce un énième film de déconstruction historique comme le fut Indigènes de Rachid Bouchareb en 2006 ? Doit-on s’attendre à un contenu idéologisé, forçant encore le spectateur français à la repentance coloniale ? Doit-on craindre le message délivré par le film aux vues des derniers propos tenus par Omar Sy sur l’Ukraine ? Bref, plusieurs questions me taraudaient avant que je ne rentre finalement dans la salle UGC de Vélizy, m’obligeant à avouer ceci : le contexte du film ne doit pas entacher l’appréciation du film en lui-même. Tirailleurs, loin du manichéisme parfois démagogique des récentes sorties au cinéma, nous soulève le cœur tant dans son réalisme historique que dans la trame en tant que telle.

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Ne vous y méprenez pas : le sujet des tirailleurs sénégalais me passionne et je trouve l’idée de raconter leur histoire plus que nécessaire. Seulement, vous l’aurez compris, en ces temps de conflit mémoriel, il me paraît judicieux d’appréhender la narration de ces faits avec la plus grande vigilance possible. Mémoire et histoire font rarement bon ménage dans le cinéma. Or, je dois dire que Tirailleurs est un film sincèrement juste dans sa démarche et profondément humain. Nous suivons le destin d’un père et d’un fils sénégalais, joués respectivement par Omar Sy et Alassane Diong, qui se font enrôlés de force par l’armée française pour aller combattre dans les tranchées. Le réalisateur Mathieu Vadepied (La vie en grand, En thérapie) nous emmène alors dans l’horreur de 14-18 où des centaines de milliers de Français meurent dans d’atroces souffrances sur le champ de bataille, au côté évidemment de plusieurs ressortissants – 200 000 hommes de lointaines colonies sont engagés pour monter au front.

D’emblée, la complexité d’une telle situation saute aux yeux. Bakary, le père, doit évidemment éprouver et refouler la dureté de la guerre mais surtout la peur de voir son propre fils se faire tuer. Or, Thierno, contrairement à son père qui cherche à déserter, ne semble plus s’inquiéter de son propre sort et prend à cœur la mission qui lui est confié. Son courage est alors reconnu par le lieutenant Chambreau, joué par Jonas Bloquet, qui l’élève plus tard au rang de caporal. Le fils devient alors le supérieur hiérarchique de son père, rendant impossible toute tentative de désertion. D’ailleurs, la relation entre le lieutenant et Thierno est criante de vérité sur les relations entre Français en ressortissants ; il n’est fait mention d’aucune discrimination exagérée, il s’agit surtout de camarades qui, malgré leur différence de couleur de peau, ont un destin commun et s’engagent tous les deux à combattre ensemble et mourir ensemble.

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Même si je ne les partage qu’à moitié, des critiques sur la mise en scène peuvent toutefois être apportées. En effet, ne vous attendez pas à un Mel Gibson ou à un Ridley Scott. Il ne s’agit absolument pas d’une fresque guerrière avec des travelings dans tous les sens ou des plans larges sur des milliers d’hommes dupliqués en images synthétisées. Le film est tourné exclusivement avec caméra à l’épaule pour signifier que nous sommes bien au cœur d’une expérience intime, celle d’un père et d’un fils plongés dans l’enfer des tranchées, très bien reconstituées soit dit en passant. L’ampleur historique est-elle étouffée par une mise en scène trop prudente, rendant le spectateur passif ? Je n’en ai pas la moindre impression. Au contraire, même si je suis un fan invétéré des grands classiques guerriers, je reproche parfois aux grands effets spéciaux et aux montages « post-prod » de recouvrir une réalité de toute manière tangible et déjà horrible dans l’esprit des spectateurs. Dans Tirailleurs, l’optique ne remplace pas l’œil. Nous sommes aussi bien dans les tranchées que dans les retranchements des personnages.

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