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Hommage de la cinémathèque à Philippe Nahon : Carne/Seul contre tous, de Gaspar Noé

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Pour rendre hommage à l’acteur Philippe Nahon, décédé du coronavirus, la cinémathèque française a mis gratuitement en ligne sur sa plateforme Henri les deux œuvres ayant révélé l’acteur : le diptyque de Gaspar Noé constitué par le moyen-métrage Carne et son premier long-métrage Seul contre tous.

Irréversible, Enter The Void, Love, Climax… chaque film du réalisateur a droit à sa polémique, qu’il s’agisse d’un retentissant scandale comme lors de la projection d’Irréversible à Cannes en 2002, ou du plus sobre débat critique autour de Climax en 2018. Les films de Gaspar Noé ne laissent personne indifférent, et sont toujours des expériences pour le moins particulières pour le spectateur.

Carne et Seul contre tous ne dérogent pas à la règle ; puisque ce sont les premières œuvres de Noé, on peut même considérer qu’elles l’instituent. Elles relatent l’histoire d’un boucher chevalin raciste, misogyne, homophobe, violent et incestueux, désœuvré après avoir perdu sa boucherie et sa fille mutique. Un beau programme… raconté à la première personne, avec la voix-off omniprésente et entêtante de Philippe Nahon, qui porte le double film de bout en bout. Un itinéraire ponctué de bruits de coups de feu impromptus et d’intertitres aphoristiques, comme dans les autres films du réalisateur (“Vivre est un acte égoïste”, et autre réflexions plus ou moins profondes). Le premier film du diptyque s’ouvre sur l’abatage, brutal et quasi documentaire, d’un cheval ; le second s’achève sur une explosion de violence intérieure, précédée d’un message avertissant le spectateur qu’il lui reste trente secondes pour abandonner le visionnage du film.

La philosophie de comptoir dépressive et nihiliste débitée en continu par le protagoniste a de quoi dérouter. Rares sont les films à adopter de façon aussi radicale le point de vue d’un personnage si politiquement incorrect (c’est le moins qu’on puisse dire), tout en n’adoptant peu voire pas de position : son attitude n’est ni dénoncée, ni approuvée, simplement montrée – avec beaucoup d’insistance.

Sur le plan formel, le film est lui-même assez marquant. On pense parfois à une version salie et sans humour des films de Caro et Jeunet ; Delicatessen est d’ailleurs sorti à peu près au même moment. L’image est tantôt jaunâtre, tantôt rougeâtre (le suffixe en -âtre s’impose en tout cas à peu près tout le temps). Il est intéressant de voir que le format très large, panoramique, habituellement utilisé  pour filmer des films épiques ou de grands paysages, est détourné par Noé : là où d’habitude l’enfermement est plutôt exprimé par des ratios s’approchant du carré (The Lighthouse en a offert un bel exemple cette année), c’est ici l’écrasement non plus horizontal mais vertical des personnages qui permet d’exprimer leur mal-être. Qu’on ressent à notre tour très fortement.

On entend parfois posée en ces termes assez crus une pertinente question esthétique : est-il vraiment nécessaire de nous plonger la tête dans la cuvette pour nous faire comprendre qu’elle est sale ? On peut en douter ; mais Carne et Seul contre tous nous montrent que Gaspar Noé, lui, a sa réponse, qu’il a depuis continué d’apporter avec ses œuvres suivantes.

Carne et Seul contre tous, de Gaspar Noé. Avec Philippe Nahon, Blandine Lenoir, Frankie Pain. Disponible gratuitement sur Henri, la plateforme de la cinémathèque française, jusqu’au premier mai 2020.

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