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Le « Night Shyamalan Universe » : une alternative crédible dans un paysage super-héroïque aseptisé ?

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Achevée il y a maintenant plus de deux ans avec la sortie de Glass, la trilogie de super-héros du réalisateur américain s’est imposée comme une conception iconoclaste du genre, bien loin des productions Marvel ou DC qui trustent les premières places du box-office. Parfois inégal, le plus souvent clivant, M. Night Shyamalan s’est révélé être un véritable démiurge capable de façonner un trio de personnages – interprétés par Bruce Willis, Samuel L. Jackson et James McAvoy – qui a fini par marquer toute une génération de cinéphiles, ou tout du moins, d’amateurs du genre super-héroïque et ce faisant, il a réussi son pari : réconcilier blockbusters de super-héros et patte d’auteur. Mais est-ce suffisant pour rivaliser avec les géants déjà très confortablement installés dans l’imaginaire collectif ?

Retour vingt ans en arrière, Incassable pénètre dans nos salles obscures et fait forte impression. Sa froideur et sa profondeur le range directement dans une catégorie particulière, à mi-chemin entre thriller et film de super-héros. Inclassable en somme. On y suit les aventures de l’unique rescapé d’un accident ferroviaire, tourmenté par son étrange faculté à avoir un physique ultra-résilient et incarné par Bruce Willis, avec qui le cinéaste américain avait déjà collaboré quelques années auparavant pour le mythique Sixième sens. Son étrange relation avec Elijah Price, atteint par une maladie génétique qui fait de lui un véritable « homme-de-verre » constitue la pierre angulaire de ce premier long-métrage, socle sur lequel va s’établir tout l’univers shyamalanesque. L’ambivalence de ce rapport de force permanent entre le héros – si tant est que l’on puisse qualifier ainsi David Dunn – et de sa némésis se poursuivra en effet dans le dernier volet, le cross-over conclusif de la trilogie, Glass.

Entre temps, et dix-sept ans après la sortie du premier film tout de même, durant lesquels le maître de cette saga a expérimenté de nouvelles choses, diverses et variées, avec plus ou moins de réussite, Split est sorti. Fondé sur un postulat fort, réelle réussite au box-office et majoritairement bien accueilli par la critique, le long-métrage détonne par son parti-pris scénaristique et filmique. La performance de McAvoy, qui joue le rôle de Kevin, un jeune homme atteint de trouble dissociatif de l’identité qui voit l’une d’elle progressivement prendre le pas sur les autres, y est saluée et jusqu’aux dernières images, presque rien ne laisse présager que l’œuvre est une suite à Incassable. Quelle ne fut pas la surprise du spectateur alerte lorsqu’il voit Bruce Willis, gardien de sécurité, casquette vissée sur le crâne, apparaître l’air de rien, le regard tourné vers la révélation d’un nouveau protagoniste dans son univers.

Venons-en à ce qui rend ce triptyque si caractéristique et original. La volonté de mêler hommage aux comics, qui ont sans doute marqué la jeunesse de l’auteur, et iconoclasme, affranchissement des schémas classiques du genre rendent la tâche de M. Night Shyamalan très difficile. Premier point à noter : le théâtre des trois films se trouve ne pas être New York, mais Philadelphie, cité chère au cinéaste. D’apparence anodine, ce choix délibéré reste significatif et judicieux en ce qu’il place l’action dans une métropole plus petite – à l’échelle des Etats-Unis – mais d’une importance capitale dans l’histoire d’un pays où sont nés les figures contemporaines du super-héros. L’unité de lieu s’accompagne d’une distribution finalement assez restreinte, puisque les trois protagonistes masculins occupent l’essentiel de l’espace et les personnages secondaires ne servent en définitive qu’à développer chacun des personnages qui se retrouvent dans le dernier film. On pourrait y voir une surcaractérisation ou manque de diversité mais l’intrigue n’en ressort que renforcée et c’est dans ses personnages que l’univers puise toute sa puissance, dans ce qu’ils sont et non forcément dans ce qu’ils font, à la différence des héros du MCU par exemple, engagés dans une perpétuelle course, dans une surenchère permanente à qui sauvera le plus de vies.

Les personnages de Shyamalan ne sont pas comme ça. Ce sont des êtres malades, frappés par une malédiction, physique ou mentale qui les condamnent à rester en marge de la société à jamais. Être héros dans un tel univers est loin d’être une sinécure, et bâtit des personnages tourmentés, délirants, détruits. C’est même là-dedans que le cinéaste va chercher ce qui rend sa trilogie si spéciale, ce qui la démarque des autres productions hollywoodiennes qui tentent d’imposer une figure du héros vertueux et juste. David, Kevin et Elijah sont tout l’inverse, chacun à sa manière, ils sont ce qu’ils ne veulent pas être et se débattent sans cesse contre cela.

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Mais la particularité du « Shyamalan Universe » ne se résume pas à ces considérations scénaristiques, à sa diégèse et prend toute son ampleur dans la manière avec laquelle le réalisateur met en image ces histoires audacieuses. Il ramène sa patte caractéristique, sa justesse technique, sa maîtrise de la temporalité. Les trois films retracent l’évolution de la démarche esthétique de leur auteur, de son mûrissement. On y retrouve à chaque fois son jeu sur les couleurs et les symboles, sa volonté de faire en sorte que chaque plan s’imprime dans l’esprit du spectateur afin de lui faire intégrer précisément l’histoire qu’il souhaite lui conter. C’est aussi par ce biais que le triptyque s’affirme comme une alternative forte aux MCU et DCU, à l’imagerie policée et critiquée.

Le « Shyamalan Universe » constitue donc une réelle proposition d’auteur, qui respecte la culture super-héroïque, peut-être plus même que les géants auxquels il fait face, et la structure narrative du comics américain. Il est à l’image de son démiurge, imparfait mais diablement empli de talent. Les super-héros n’y existent pas vraiment, tout du moins d’une manière bien plus subtile qu’ailleurs, et restent dans l’ombre jusqu’à la scène finale de Glass. C’est là la grande force de la trilogie : redéfinir le genre de super-héros en y restant fidèle, détruire les idoles populaires aux profits de marginaux qui finiront par devenir des héros, les héros de leur univers.

 

Split est disponible sur Netflix.

Incassable et Glass sont disponibles en VOD.

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