Cinéma

Tenzo : la spiritualité comme remède

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Chiken, moine bouddhiste de l’école de Sôtô, croit fermement aux vertus thérapeutiques et spirituelles de l’alimentation zen qu’il enseigne, et tient une antenne d’écoute pour personnes isolées à tendances suicidaires. Ryûgyô, devenu ouvrier, a connu Chiken lors de leur formation, et vient maintenant en aide aux victimes de la catastrophe de Fukushima. Tous deux mènent, à travers leurs actes quotidiens, une quête spirituelle profonde.

Des percussions résonnent, des bonzes s’empressent, courent, prient, pendant que la neige tombe sur le monastère. La séquence d’ouverture du film puise toute sa force esthétique de l’ordre et de la beauté des protocoles monastiques nippons. Mais Tenzo est bien plus qu’un simple enregistrement du réel, même si sur de nombreux sites ou revues le film est classé comme documentaire. Certains acteurs, comme Chiken et sa famille, jouent effectivement leur propre rôle, mais Tenzo reste un film écrit et mise en scène. Et justement, ce sont les qualités de de cette écriture et de cette mise en scène qui font qu’un tout cohérent émerge des instants de vie glanés chez les personnes réelles, assemblés avec les éléments nés de l’imagination du réalisateur. Un équilibre très émouvant en naît : étonnamment, sans aucune artificialité, documentaire et fiction se mêlent harmonieusement l’un à l’autre, sans hypocrisie, comme si tous deux assumaient leurs natures et en cela parvenaient à se compléter parfaitement.

Cette logique de combinaison d’éléments apparemment opposé, Katsuya Tomita la revendique, établissant dans son film un parallèle direct avec la cuisine zen. Le chapitrage du film en six saveurs se veut le reflet de la pratique de la cuisine de son protagoniste. Ainsi dans Tenzo, les différentes composantes qui font un film sont mises au service d’une réflexion spirituelle ancrée dans le réel et dans le quotidien.

Dans quel but ? Bien que ce besoin de trouver une paix intérieure et la recherche de l’éveil soient inhérents au bouddhisme zen, ils deviennent dans Tenzo des préoccupations profondément contemporaines. Chiken et Ryûgyô sont hantés, sinon par une angoisse du déclin, au moins par une inquiétude quant à leur époque. La hausse du taux de suicide et l’incident de Fukushima révèlent un Japon perturbé, dont les troubles touchent les protagonistes au plus profond et semblent se refléter dans la maladie du fils de Chiken, comme dans l’alcoolisme de Ryûgyô, évoqués avec sobriété et sensibilité par le réalisateur.

Malgré ces troubles, malgré les difficultés des personnages, malgré le drame de Fukushima, Tenzo propose une image épurée, nette, à l’image du calme méditatif qu’il essaie d’inspirer. Les dialogues de Chiken avec la nonne Shinto Aoyama, ses marches et ses méditations au cœur de la nature, les paysages, sont autant de tableaux d’une grande beauté. Il en résulte un film étrangement apaisé dans sa forme en dépit des difficultés qu’il évoque, parcouru de soubresauts d’une inventivité qui décuple sa force. Tenzo a le mérite d’oser l’originalité pour évoquer la tradition ; pour preuve, l’utilisation de l’animation, ou le choix de la chanson du générique final, du rap. Une harmonie inattendue, à l’image du film.

Tenzo, de Katsuya Tomita. Avec Chiken Kawaguchi, Shinko Kondo, Ryugyo Kurashima, Shuntou Aoyama. Sortie le 27 novembre 2019. Voir notre interview de Katsuya Tomita.

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