Cinéma

Tout simplement juste

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Alerte : Si vous n’avez pas encore vu Tout simplement noir, faîtes-nous confiance et allez voir le film  avec un regard le plus vierge possible, l’expérience n’en sera que plus rafraîchissante. Si vous êtes encore là, je ne vois que deux possibilités : 1. Vous avez vu le film et sa critique vous intéresse. 2. Vous n’êtes pas tenté par le visionnage de ce film dont la démarche vous rend perplexe, auquel cas la lecture des lignes à venir et votre ouverture au contradictoire vous honore. Mais je m’égare, venons-en au film.

Pour aussi frontale que puisse paraître la démarche de Jean-Pascal Zadi, rappeur-acteur-réalisateur à l’origine du projet, le film surprend d’abord par la subtilité de son écriture. Si le titre du film, rendant hommage à un groupe de rap de la fin des années 1980, annonce la franchise et la simplicité du discours, le visionnage nous laisse progressivement découvrir une virtuosité que la bande-annonce ne laissait pas soupçonner. Là où les blagues prises une par une ne prenaient qu’à moitié, le film déploie des trésors comiques en laissant les scènes s’étendre dans la durée. La séquence de dispute entre Fabrice Eboué et Lucien Jean-Baptiste ayant déjà beaucoup fait parler d’elle, on notera également l’absurdité de la discussion au studio avec Soprano. Si le film est indéniablement drôle, c’est plus encore la gestion de la contradiction qui rend l’écriture fascinante. Chacune des scènes est abordée non seulement en tant qu’exercice narratif mais est également pensée avec la réception qu’elle pourrait avoir auprès d’un public moins bienveillant. De cette façon, autant dans les thématiques abordées que dans le registre adopté, le film coupe l’herbe sous le pied à la plupart des critiques qui pourraient lui être adressées. Une marche organisée par la communauté noire risquerait de fracturer la société ? Absurde : depuis quand tient-on un tel discours lorsqu’il s’agit de manifestations pour les causes féministes ou LGBT ? Le communautarisme attribué aux militants pour la cause noire serait une forme dangereuse de contre-racisme, au point de légitimer des lois contre « les séparatismes » (Jean Castex 15/07/2020) ? Absurde : depuis quand les blancs souffrent-ils des discriminations semblables à celles dénoncées par ces militants ? Le film adopte une démarche subversive qui pourrait nuire au message qu’il porte ? Peut-être, mais comment faire autrement quand personne n’écoute ? La liste est longue et le film fait presque toujours mouche. Balayant toute une série de préconçus, il empêche ses détracteurs potentiels de lui opposer un discours réchauffé et les encourage à prendre à bras le corps un sujet regorgeant de chausse-trappes que le film prend gentiment le temps de signaler.

Bien sûr le film souffre de quelques défauts, la structuration du récit autour de sketchs fragilisant son existence en tant que film, certaines blagues tombant à plat, mais la spontanéité du projet en excuse les écarts, assez rares pour êtres oubliés. Si le film est produit et distribué par Gaumont, il s’agit d’un projet éminemment personnel porté à bout de bras par son réalisateur et interprète principal, Jean-Pascal Zadi. A 38 ans, après 3 longs-métrages auto-produits et auto-vendus, celui-ci réalise un véritable coup de poker auprès du géant audiovisuel. Après plusieurs refus, il contacte Gaumont en mettant en avant le casting du film…avant même d’avoir contacté les personnalités concernées ! Sans plus attendre, la firme lance le projet, atterri dans nos salles le 8 juillet dernier. De cette union inhabituelle résulte un long-métrage qui, s’il dispose des moyens nécessaires pour réunir un tel casting, conserve ses notes de sincérité.

Comptant au rang des grands naufragés du COVID-19, Tout simplement noir diffère néanmoins de ses compagnons d’infortune. Là où la plupart des films sortis depuis la réouverture des salles s’échouent tristement sur un marché du cinéma où même la demande des plus cinéphiles ne suffit pas à raviver la flamme, le film de Jean-Pascal Zadi et John Wax est l’un des seuls à, peut-être, profiter de ce report. Après que la mort de George Floyd outre-Atlantique a soulevé une vague de solidarité au sein de la communauté noire française, certains passages du film (réalisé et censé sortir avant les évènements) résonnent étrangement avec le combat mené ces dernières semaines. Plutôt que la trace d’une inspiration visionnaire, cette concomitance est la preuve criante que les luttes se suivent et se ressemblent tristement en ce qui concerne la lutte contre des discriminations dont les violences policières ne sont que la partie la plus visible. Dans ce contexte favorable, Tout simplement noir devrait n’avoir aucun mal à fédérer, autant les militants de toute heure que les indignés de dernière minute, autour d’une œuvre portant justement à l’écran ce sujet brûlant. Malgré cet alignement des astres et en dépit des qualités multiples du long-métrage, les sceptiques continuent d’attribuer à la démarche au mieux une maladresse sincère, au pire un opportunisme crasse. Plusieurs fois j’ai entendu autour de moi « ce film surfe abusivement sur la vague George Floyd », « encore une apologie du communautarisme, », « … comme si on avait besoin de ça en ce moment ». Et bien oui, justement, on a besoin de films comme Tout simplement noir. Tout d’abord parce qu’on a besoin de rire, le film déployant pour nous des merveilles d’écriture comique, faisant fi des écueils qui accompagnent souvent un tel sujet. Mais surtout, Tout simplement noir est un film unique, en tant qu’il s’adresse comme rarement aux détracteurs de son message. Contrairement à des films qui, comme Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu, surfent allègrement sur l’aisance avec laquelle un certain public rit avec le racisme, Tout simplement noir travaille le sujet afin que ce même public questionne par le rire son rapport au racisme. En cela, il est essentiel que Tout simplement noir dépasse le simple cadre des personnes déjà convaincues de la justesse de son message. Conçu comme un exercice dialectique, il ne peut exister en tant que film que s’il y a dialogue avec ce public. Le film tend la main aux sceptiques, à eux de franchir le pas.

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Baptiste Gaudeau
Président de Making-Of pour l'année 2020-2021.

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