Cinéma

En avant: un tour parfaitement exécuté

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Désormais orphelin de John Lasseter, Pixar nous délivre le premier film auquel le père de Toy Story n’aura pas participé sur le plan créatif. Coincé entre le dernier volet de la licence Toy Story et le très attendu Soul, En Avant souffrait du même symptôme que Le voyage d’Arlo : ne pas être LE Pixar de l’année. À l’heure où les innombrables projets Disney se noient dans le calendrier, la sortie d’un film Pixar reste un évènement attendu et faisant couler beaucoup d’encre. Pâtissant à la fois de l’agenda et d’une campagne marketing insipide, passant complètement à côté de la substance du film, En Avant partait néanmoins d’un mauvais pied pour sa sortie en salle (note : du fait des circonstances actuelles, En avant est disponible sur Disney + aux Etats-Unis depuis le 20 mars. En France, la rigidité de la chronologie des medias laisse planer l’incertitude sur l’avenir du film). Qu’en est-il du résultat final ?

Durant ses quinze premières minutes, le film suit une mauvaise pente, introduisant l’univers plat et l’aventure basique promis par les bandes-annonces. Pire, en dépeignant un monde désenchanté par la technologie, le film devient symptomatique de l’absence de ce qui fait habituellement la magie Pixar. En Avant nous décrit un monde où l’avancée technologique sert bien plus le confort quotidien que la création. Le récit fait alors parfaitement écho à l’esprit du projet : utiliser la marque Pixar et se reposer sur des moyens techniques, le tout sans parti pris créatif. Et puis soudainement…quelque chose d’inattendu se produit. Parti pour une excursion vaguement divertissante, on revient du voyage d’En avant avec une émotion profonde et une question entêtante : que s’est-il passé ? Comment, de ce qui démarrait comme un produit de commande mobilisant pauvrement les codes de l’heroic fantasy, en est-on arrivé à s’émouvoir comme on a pu le faire face à Toy Story, Là-Haut ou encore Vice-Versa ?

Pixar réussit ici un vrai tour de force en déjouant nos attentes, revues à la baisse après le début de la séance. L’équipe du film parvient à insuffler une réelle subtilité à un tout qui promettait d’être grossier ou simpliste. C’est notamment au niveau de l’humour que la magie opère. D’abord convenu et réellement envahissant, semblant presque devoir combler le vide du film, il est de mieux en mieux pensé et cesse d’occuper le devant de la scène. Si les procédés comiques restent les mêmes, ils sont bien mieux dosés et donnent lieu à des séquences comiques assez surréalistes. Jusqu’au dénouement, l’humour fait mouche, bien que laissant progressivement place à une réelle émotion qui en aura fait pleurer plus d’un lors de notre séance à USC.

La critique du désenchantement d’un monde trop technologique se fait très vite discrète, servant de toile de fond à un propos plus juste et surtout bien plus profond sur le deuil et la fraternité. C’est sans doute l’approche extrêmement juste et puissante de ces deux thématiques qui donne tout son souffle à En avant. Face à la perte d’un père auquel tous deux ont un rapport très différent, ces frères, qui ont leur propre regard sur le monde, nous donnent à voir un lien bouleversant, d’une authenticité et d’une maturité remarquables. En avant gère d’ailleurs merveilleusement bien cette quête pour le retour à la vie de l’être perdu, jouant habilement avec les règles de ce monde magique et les différents points de vue. Si un public plus adulte pourra profiter de toutes ces pépites qui jalonnent le film, de jeunes enfants se régaleront d’une atmosphère de film d’aventure et d’un humour transgénérationnel.

Avec son cette intelligence narrative et émotionnelle, En avant mérite tout à fait sa place dans la famille Pixar. Si les balbutiements de son introduction l’empêchent de rejoindre les grands du studio à la lampe, il est une autre manifestation de la patte Pixar. Perdre son spectateur avant de pleinement le reconquérir au dernier acte, voilà un tour de magie dont En avant ne devrait pas avoir à rougir.

En Avant, de Dan Scanlon. Avec Tom Holland et Chris Pratt. Sortie le 04/04/2020

Baptiste Gaudeau
Président de Making-Of pour l'année 2020-2021.

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