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90’s : une génération entre rêve et déréliction

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Chaque génération a l’étrange sentiment d’être particulière, de porter l’héritage de celles qui l’ont précédée comme un fardeau et d’avoir la lourde tâche d’innover, d’inventer de nouvelles choses. Mais la décennie 1990 est encore teintée d’autre chose. Crépuscule d’un millénaire – notamment dans son ultime siècle – tourmenté, elle est à la fois conclusion, renaissance et entre-deux. Entre-deux, dans lequel des adolescents sans histoire tentent, comme Jonah Hill le retranscrit dans ce premier long-métrage aux airs autobiographiques, de saisir la vie, tout simplement.

Los Angeles, été 1995. Stevie, jeune garçon de treize ans englué dans une vie de famille troublée par son grand-frère irascible et sa mère dépassée par l’éducation de ses fils, rencontre une bande de skateurs, plus âgés que lui, qui le prennent progressivement sous son aile. Avec ses nouveaux amis, il va connaître les joies et les peines de l’adolescence, tantôt sublime en ce qu’elle recèle de curiosité et de découverte, tantôt impitoyable par l’âpreté et la cruauté de ce qu’elle implique.

Jonah Hill, acteur populaire qui passe pour l’occasion derrière la caméra, se reflète dans le petit Stevie. Incarnation même de l’ado américain des années 90, issu de la classe moyenne, qui se cherche une passion pour animer un quotidien sans saveur, Stevie évoque l’angoisse de la génération Y, au carrefour de deux époques, au creux d’une révolution inédite qui changera radicalement la manière d’être au monde. Mais la force du long-métrage réside dans la beauté même qui se dégage de cette génération perdue, livrée à elle-même. L’aspect autobiographique de l’œuvre offre alors la retranscription la plus fidèle qu’il soit de cette jeunesse troublée, rassemblée par une passion commune : le skate.

Symbole d’indépendance, catalyseur des pulsions libertaires et aventureuses de cette bande d’amis, le skate est un acteur à part entière du film. Tant l’objet que le sport rythment et cadencent le scénario de ce même Jonah Hill qui, avec un remarquable talent de conteur, capte avec une justesse rare la singularité de l’adolescence. Car c’est aussi là l’un des points à retenir quand on évoque 90’s : certes le réalisateur américain nous relate l’histoire d’une génération, de sa génération, mais le propos qu’il tient, et notamment l’analyse des ressorts psychologiques des protagonistes – la quête d’affirmation, le besoin d’appartenance à un groupe, les relations sociales hiérarchiques, la dictature de la coolitude… – fait rentrer son œuvre dans une nouvelle dimension, plus universelle. Peut-être est-ce de la surinterprétation, il n’en reste pas moins que Jonah Hill réussit un tour de force et permet à toutes les générations d’adolescents de s’identifier à ses personnages. Et si Stevie est sans doute le plus travaillé par son auteur, les autres adolescents – du grand-frère aux membres de la bande en passant par le groupe de filles avec qui ces derniers passent leurs soirées – contribuent à donner de l’épaisseur au propos du film, mission qui n’est pas des plus simples pour de jeunes acteurs mais pourtant parfaitement remplie.

Toutefois, là où le cinéaste californien était véritablement attendu au tournant, pour son premier passage à la réalisation, c’est sur la mise en scène et la couleur qu’il réussirait ou non à donner à son œuvre. Et il faut bien reconnaître, une fois de plus, qu’il a réussi son coup. Le choix délibéré de s’inscrire dans une démarche indépendante, en reprenant certains codes des succès de Sundance – format d’image, angles choisis… – se révèle parfaitement adapté à la teneur de son script. L’imagerie indie US rend ici l’effet attendu, notamment au niveau de la photographie, celui d’une captation quasi-naturaliste du quotidien estival de cette bande de jeunes américains. La puissance évocatrice des scènes, notamment des scènes les plus douloureuses, mêlée à une bande originale efficace et en accord avec la période filmée témoignent de la qualité de metteur en scène de Jonah Hill, qui a su s’entourer des bons collaborateurs pour réaliser ce premier long-métrage.

Voyage initiatique en pleine Californie, 90’s est un excellent premier film, empli de tendresse et d’émotion. En jouant habilement sur la nostalgie ressentie par sa génération, maintenant quarantenaire, Jonah Hill nous invite, pendant près d’une heure vingt, dans la bande de copains de Stevie et nous rappelle à tous, ceux pour qui l’adolescence est un vieux souvenir ou ceux qui sont en plein dedans, à quel point certains moments de vie valent la peine d’être vécus.

 

“Lotta the time we feel our lives are the worst. But I think if you look in anyone else’s closet, you wouldn’t trade their sh*t for your sh*t. So, it’s good.”

 

Disponible en VOD.

 

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