Critiques

Aftersun – Les artifices de la félicité

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Aftersun fait partie de ces films capsules à bord desquels on navigue comme en rêve. On sombre avec eux, on se laisse engloutir, étourdir, si bien que de retour à la surface, contemplant l’opacité de ce qui semblait à l’instant si clair, on est pris d’une seule envie : replonger.

Le film nous embarque dans les vacances d’un père trentenaire et de sa fille dont il a la garde pour quelques jours. L’espace de deux scènes se déploie une alchimie tant dans l’intimité que dans leur connexion joueuse face à l’artificialité des expériences touristiques qu’ils mènent. Portés par deux interprètes irréprochables (les amoureux du Paul Mescal de Normal people y trouveront leur compte), nos deux personnages vibrent de justesse. Tout sonne d’autant plus vrai que l’ingénuité de leurs échanges laisse transparaître une mélancolie lancinante. On envie leur complicité grisante, recouvrant la banalité cendrée d’un voile argenté. Mais on se laisse d’autant plus facilement envahir par leur malice rayonnante qu’elle est friable. 

En cela la mise en scène trouve le parfait équilibre entre sobriété et parures. De prime abord, Aftersun cumule tous les attributs d’un film de Sundance (dont Deauville se fait généralement l’écho). Peu de personnages, peu d’action et un fil narratif sans noeud ni véritable continuité. Si la recette me laisse souvent assez froid, je dois avouer que la sauce a bien pris ce coup-ci. Car si chaque scène sait installer un cadre toujours captivant (choix du lieu, de l’angle, du placement des personnages dans le reflet d’une télé ou dans l’image projetée d’un caméscope), je ressens la continuité qui unit chacun de ces tableaux. L’utilisation de plans stroboscopiques d’une boîte de nuit replace toujours le spectateur dans une démarche à la fois contemplative et réflexive quant à la structure de l’histoire qui est racontée.

Reste que je perçois tous ces rouages pendant le visionnage et, bien que cela flatte toujours l’égo cinéphile, sentir l’intelligence d’une mise en scène n’offre que des frissons passagers. Si le film continue de mûrir en moi (ou de pourrir, c’est selon), c’est que, sur ses 10 dernières minutes, le film sort de sa partition bien lisible. Par un faisceau de plans, il fait éclater le cadre pour qu’infuse dans notre être l’amère langueur qu’il canalisait jusque-ici. La digue éclatée, on se laisse dériver, espérant que les vagues roulent à nouveau notre âme gorgée d’amertume jusqu’aux rives de la légèreté.

Baptiste Gaudeau
Président de Making-Of pour l'année 2020-2021.

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