Critiques

EO – Cessons nos âneries

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« Regardez au fond des yeux d’Eo. J’aimerais que ce film touche le plus de cœurs et de cerveaux humains que possible depuis l’écran. » Jerzy Skolimowski

Lors de la cérémonie de clôture du 75e Festival de Cannes, EO remporte le prix du jury et les cinéphiles du monde entier s’émeuvent lorsque Jerzy Skolimowski, 84 ans, prend le temps de remercier un à un les six interprètes d’EO.

EO c’est l’histoire d’un âne et de ses errements au sein de la Pologne de Skolimoski, il est tour à tour bête de cirque, bête de somme, animal de compagnie et animal d’élevage. L’originalité du film réside dans le regard de cet âne, tout est fait pour que le spectateur s’identifie à EO et c’est son regard qui accompagne le nôtre. Floue, purement subjective, parfois onirique, la caméra traduit les différents ressentis d’un âne perdu dans un monde d’homme. Les yeux d’EO amènent Skolimowski à manier la caméra comme cela ne s’est jamais fait, en épousant purement et simplement la puissance d’une subjectivité animale. On est embarqué dans une rêverie délirante, qui joue sur les couleurs et sur les formes, donnant à voir le monde sous un prisme nouveau via une expérience de cinéma grandiose.

Pour ceux qui, comme moi, ont eu à travailler un an sur le thème de « l’animal », EO est une bouffée d’oxygène, un petit quelque chose qui nous manquait. C’est l’expression même de la subjectivité animale : EO n’est pas n’importe quel âne, il est celui qui a dansé, celui qui a fui, celui qui cours sans s’arrêter ; alors une fois ce travail d’identification effectué, il semble absurde de le transformer en salami comme certains personnages le suggèrent tour à tour. En donnant à son âne une histoire personnelle, Jerzy Skolimowski nous fait ressentir l’ampleur de sa sensibilité et la richesse de son existence spécifique. 

Alors, les rencontres de l’élevage intensif, des élevages de fourrures et des abattoirs sont vécus comme autant d’injustice par le spectateur. EO est un témoin, en incarnant un âne spécifique il se fait représentant de tous les ânes, mais aussi des porcs et des bœufs dont il croise le regard, il est par son individualité l’image de tous ceux que l’on appelle platement animaux. EO nous ramène à ce que nous avons trop souvent tendance à nier, les 100 milliards d’animaux abattus chaque année pour leur viande sont autant d’êtres vivants avec leurs histoires et leurs sensibilités propres. EO n’est pas remplaçable, il est EO avant d’être un âne.  

A travers le regard d’EO, extérieur par nature à notre société, on est embarqué dans un immense voyage au sein d’une Pologne violente, alcoolique, dangereuse et inégalitaire. Il nous renvoi aux vices de notre humanité par la simplicité de son regard, et on ne peut que s’interroger sur la légitimité de notre hégémonie. 


En 1h30 de film, EO se fait manifeste pour l’animal, mettant en image l’écart entre ce qu’il peut nous apporter et ce que l’on en fait. Malgré tout ce qu’il dénonce, Jerzy Skolimowski ne se fait jamais moralisateur il n’a vocation qu’à montrer avec humilité une subjectivité animale, espérant sans doute que cela puisse changer quelque chose pour tous les EO qui peuplent ce monde.  

8.5

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