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Jumbo : le mécanisme amoureux

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Le premier film d’un ou d’une cinéaste occupe toujours une place singulière dans son œuvre pour la simple et bonne raison que, lorsqu’il le réalise, il n’est pas certain de pouvoir en faire un deuxième un jour, et cherche alors à donner une couleur unique à son long-métrage, une couleur qui lui ressemble. Jumbo, coproduction franco-belgo-luxembourgeoise sortie en 2019, l’incarne parfaitement, tant Zoé Wittock, prometteuse scénariste et réalisatrice belge, lui donne une identité forte, teintée d’une audace appréciable et d’une volonté de briser les codes du genre, aussi bien dans sa mise en forme que dans ce que le film raconte.

Inspiré de l’histoire vraie au caractère anecdotique d’une femme ayant épousé la Tour Eiffel, le long-métrage de la réalisatrice belge relate l’aventure amoureuse qui unit Jeanne, jeune adulte empruntée qui vit seule avec sa mère Margarette depuis le départ de son père, et un manège Move It 24 de KMG du parc d’attraction où elle travaille depuis peu. De prime abord, un tel synopsis laisse à penser que nous allons avoir affaire à une comédie loufoque et burlesque où Noémie Merlant, talentueuse interprète de Jeanne, se retrouve embarquée dans de cocasses situations. Mais il n’en est rien, et si un sourire naît pendant de courts instants devant le film, c’est uniquement à cause du spectacle qu’est l’absurde condition de la jeune femme qu’a imaginée Zoé Wittock.

Mais s’il fallait absolument ranger Jumbo quelque part, ce serait certainement dans la catégorie « drame romantique ». Car le scénario nous invite à explorer, de manière parfois un peu tirée par les cheveux mais toujours avec une tendresse et une empathie pour ses personnages marginaux, la substance de cet objet insaisissable qu’est l’élan amoureux. Les relations interpersonnelles, entre Jeanne et sa mère, entre Jeanne et Marc, le patron du parc qui lui fait de l’œil, ou entre Margarette et Hubert, son nouveau compagnon, dessinent une fresque où l’amour est au centre de tout et est envisagé sous des angles différents, dans toute sa complexité. Et l’intelligence de Wittock fut de tenter de donner littéralement corps à son propos par une quête d’organicité : tout au long du film, les corps sont les lieux du sentiment amoureux qui tantôt les transperce, tantôt les envahit. Une scène particulièrement marquante témoigne de cette observation, où Noémie Merlant, nue, se retrouve mystérieusement mêlée à une substance noire dans un lieu totalement blanc. La puissance évocatrice de la chair y devient la preuve de la créativité débordante de la cinéaste belge.

Se livrer à une analyse de Jumbo, c’est essentiellement découvrir le talent d’une véritable autrice qu’il va être enrichissant de suivre dans les années à venir. Malgré de légers creux par moments, où le métrage patine légèrement, Zoé Wittock réussit avec brio à nous embarquer dans une aventure à laquelle beaucoup pourrait se montrer réticent. A travers l’univers filmique qu’elle impose et surtout l’amour ostentatoire du cinéma qui dégouline de son œuvre, la réalisatrice parvient à évoquer des thèmes qui lui sont chers, à la croisée des genres, et donne à son œuvre une saveur particulière. L’inventivité de sa mise en scène, l’esthétique de ses plans, le soin de sa photographie font du long-métrage quelque chose de plus grand qu’il ne serait si elle avait confié son scénario à quelqu’un d’autre, car c’est bien dans l’ambitieuse rencontre entre l’histoire racontée par Wittock et son savoir-faire que naît l’œuvre puissante qu’est Jumbo

Zoé Wittock signe finalement un premier film hors norme, en ce qu’il sort des schémas classiques par lesquels l’amour est généralement représenté à l’écran. Il n’est pas parfait, évidemment, mais il possède un souffle rare, qui emporte le spectateur dans une parenthèse de près d’une heure et demie avec Jeanne et son partenaire d’un nouveau type. Ode à la tolérance et à l’acceptation de soi, même devant les regards méprisants et rejetant de certains, le long-métrage est empli d’une compassion rare. Alors, si Jumbo reste un diamant pas totalement poli, il n’en reste pas moins détenteur d’une force insoupçonnée et pourtant simplement dicible : il est unique et puissant. Car l’amour ne meurt jamais.

Disponible sur OCS.

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