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OSS 117 et le cliché de genre : jouer avec le feu ?

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« Vous êtes la secrétaire de qui alors ? » (s’) interroge un Hubert Bonnisseur de la Bath perplexe, face à une Dolorès légitimement outrée. Cette scène, intervenant au début du film, plante le décor : notre OSS 117 est un goujat. Plus formellement, cette simple remarque façonne « l’horizon d’attente » du spectateur, pour reprendre les analyses de l’école de Constance en littérature : le public s’attendra à ce que le personnage multiplie les remarques machistes et sexistes, au grand dam de son homologue féminin. Notre agent secret porte dès lors un masque, qu’il arborera en effet tout au long du film : le « Je m’habille mal ? », fameuse réplique à la tirade de l’agent du Mossad, en est la preuve.

 

Dolorès : « Vous êtes vieux, vous êtes prétentieux, votre vision des femmes est archaïque, vous êtes imbu de vous-même, supérieur, parfois à la limite du racisme. Vous vous habillez mal, vous êtes infantile, vous n’êtes pas drôle… Je m’arrête là ? »

 

OSS117 : « Je m’habille mal ? »

 

Et pourtant ce personnage est attachant. Finalement même Dolorès finit par succomber, notre couple improbable s’embrassant avec passion sur les hauteurs de Rio de Janeiro, sous la bénédiction du Corcovado: « embrasser le cliché » n’est donc pas qu’une figure rhétorique et littéraire ; elle n’est pas la seule, remarquera-t-on : la non moins charmante Larmina s’est aussi laissée tenter, dans l’opus précédent, dans le port cairote.

 

Son manque de tact et son incorrection sont une carte de visite qu’il présente de manière aussi assurée qu’un portrait de René Coty. Et sans doute pas pu en être autrement : un OSS 117 évoluant au cours du film n’aurait pas été (aussi) drôle, et aurait donné un ton tout autre au film. D’ailleurs les tentatives d’excuse du personnage sont immédiatement rendues caduques par une autre critique machiste, sinon déplacée.

 

Au contraire, « Rabbi Jacob », « Qu’est ce qu’on a fait au bon Dieu ? », montrent une progression narrative. En effet, l’architecture du récit est fondée sur l’évolution du personnage : le cliché se dissout à mesure qu’il s’intègre dans la communauté autrefois rejetée. C’est le « ton » que nous avons évoqué plus haut : tourner en dérision le  personnage caricaturé (le raciste ici) et récuser le bien-fondé de ses préjugés au fur et à mesure de la diégèse. Il n’est donc pas très surprenant qu’un mariage soit le dénouement des deux films que nous avons venons d’évoquer.

 

Mais revenons à notre mouton Du jardin : est-il si étonnant que l’intrigue narrative soit aussi faible ? En tant que pastiche affiché du roman d’espionnage français, le loufoque et le grotesque règnent en maitre dans ce film, raison pour laquelle tout se concentre autour du personnage : que ce soit dans « Le Caire nid d’espions » ou dans « Rio ne répond plus », il n’y a aucune scène du film dans laquelle le personnage principal n’apparait pas. Clé de voûte d’une cathédrale chancelante sous le poids de l’absurde, c’est précisément dans le machisme qu’il demeure égal à lui- même.

Alors pourquoi Dolorès, ou encore Larmina, finissent-elles toutes deux par embrasser Hubert ? S’il ne change pas, pourquoi donc ne pas manifester jusqu’au bout cette impossible réconciliation : tout au long des deux films, il se heurte en effet à des refus catégoriques. En effet, si les deux femmes ont par ailleurs une stature similaire (affranchie, intelligente, etc.), elles s’offrent surtout comme absolu à notre agent secret, rendant a priori tout « mariage », au sens symbolique ici, impossible. Car entendons-nous : l’héroïsme ici mis en scène est un pastiche savoureux, ne justifiant donc en rien le baiser qui s’ensuit.

 

Au fond, sans doute peut- on alors réhabiliter alors la place de la femme dans un film où un personnage résolument machiste y tient le premier rôle : celui de la société en général qui aime cette caricature précisément parce qu’elle reste fidèle à elle-même. Si cette société change, lui arborera toujours le même visage : celui du ridicule.

 

On remarquera que dans les deux scènes finales, elles le laissent entrer dans un périmètre dans lequel il n’aurait jamais pu accéder si elles ne l’avaient pas voulu : la femme qui embrasse, c’est le corps social qui va à la rencontre du sexisme et à son encontre. Ce baiser est ainsi une sorte de « deus ex machina » théâtral : en embrassant, on met fin au personnage et donc le rideau tombe. C’est la femme dans le film qui tient le rôle dominant. D’ailleurs, si l’on est attentif, c’est grâce à elle que le film progresse dans la narration.

 

On remarquera également de manière assez amusante que dans les deux cas, le baiser a lieu lors d’un feu d’artifice intervenant de manière gratuite, dans le port du Caire et sur la statue du Christ à Rio. s’il symbolise la fête, rappelle surtout l’incohérence du moment. On peut alors rapprocher notre analyse de celle du critique littéraire Georges Bataille, discutant du rôle social du carnaval : celui-ci est un moment de transgression, où les rôles s’inversent le temps d’une fête rappelant la précarité de l’ordre social établi. Moment de folie, il permet néanmoins à la société de survivre. Ici, le baiser de Dolorès et Larmina c’est la transgression que la société se permet en riant devant le machisme de notre héros.

 

Au fond, nous aimons OSS 117 parce que nous le voulons bien, et ce surtout s’il se rend détestable. Par là-même, le sexisme, et on pourrait aisément y ajouter le racisme, l’homophobie, n’est pas intégré à la communauté. Le personnage montre qu’une telle union, du machisme et de la société, ne prendra lieu que dans un univers déstructuré et loufoque, raison pour laquelle nous pouvons continuer à aimer Hubert le temps d’un feu d’artifice, où le spectacle est de mise.

 

Pour répondre à notre question initiale, c’est bien nous qui jouons avec le feu, mais sans doute parce que nous aimons cela, et OSS 117 nous le rend bien.

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