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Peninsula : après le déluge

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En des temps troublés par une pandémie mondiale, se rendre dans les salles obscures constitue à la fois un des rares plaisirs culturels encore autorisés mais aussi un acte de résilience face un ennemi insaisissable. De fait, acheter un ticket pour le nouveau long-métrage de Yeon Sang-ho amène cette expérience à son paroxysme : le spectateur se retrouve immergé dans un monde post-apocalyptique encore bien loin du sien, mais où les préoccupations des personnages lui rappellent certains aspects de son propre quotidien. Etonnant pour un « film de zombies ». Pourtant, quatre ans après avoir connu un succès critique et populaire avec Dernier train pour Busan, le réalisateur sud-coréen se doit de relever un défi de taille : répondre à des exigences nouvelles tout en se réinventant. Alors, y est-il parvenu ? 

Entre Yeon Sang-ho et les zombies, nous avons affaire à une longue histoire d’amour. Après Seoul Station et surtout Dernier train pour Busan, sortis tous deux en 2016, le cinéaste coréen était attendu au tournant à l’occasion de la sortie d’un sequel de ce dernier. Lorsqu’il annonce, courant 2018, qu’il travaille sur un nouveau film dans un tel univers, il est légitime de se poser des questions sur la capacité du réalisateur à rééditer la performance qui avait conquis le public occidental quelques années auparavant. D’autant que ses partis pris scénaristiques – introduire une toute nouvelle distribution, conserver une unité de temps (quatre ans séparent les événements des deux films) – auraient pu renforcer le doute dans la tête du spectateur. Pourtant, et c’est un quasi-exploit pour un film de genre aussi identifié, Peninsula a été retenu dans la sélection officielle du malheureux festival de Cannes 2020 et a ainsi suscité un engouement certain, faisant du long-métrage l’une des sorties phares de cette morose fin d’année. 

La proposition de Yeon Sang-ho est pourtant loin des standards habituels du blockbuster de fin d’année ; et s’il emprunte des éléments au film d’action hollywoodien, il garde tout de même une imagerie bien spécifique. Conscient que la spontanéité, le vent de fraîcheur qui caractérisait son précédent film de zombies ne pourrait avoir le même effet une seconde fois, le cinéaste coréen a fait preuve de lucidité et a orienté son nouveau long-métrage dans une nouvelle direction. Le postulat de base ne varie que légèrement certes et les morts vivants ont gardé les mêmes caractéristiques – réaction au son et à la lumière – mais l’intrigue se veut nouvelle, évolutive : un groupe d’individus se rend sur la péninsule coréenne aujourd’hui désertée, tout du moins à première vue, et livrée aux zombies, dans l’optique de récupérer un camion contenant des millions d’euros. Passée une première demi-heure un peu poussive, le long-métrage se lance enfin et l’on comprend là où Yeon Sang-ho a voulu en venir : il se détache du matériau initial qu’il a lui-même façonné pour nous livrer une œuvre réellement neuve, presque indépendante, qui regorge de rebondissements. A ce stade, l’on pourrait reprocher au réalisateur quelques facilités scénaristiques, des personnages peu caractérisés ou encore un manque de subtilité dans l’utilisation des attributs des zombies ; toutefois, malgré des défauts indéniables, le film possède une qualité que l’on ne saurait négliger : il est fidèle à l’ambition de son auteur.

Le tour de force du cinéaste coréen réside en effet dans la singularité qu’il déploie dans une telle œuvre, où il semble totalement libéré. Il parvient ainsi à perfectionner son esthétique électrisante dans une atmosphère nocturne qui contraste avec ce que l’on a connu dans Dernier train pour Busan, et décuple l’angoisse qui saisit le spectateur. Mais il se sert aussi de l’émulation qui dynamise le cinéma coréen depuis maintenant vingt ans et emprunte par exemple certains réflexes de mise en scène à son compatriote passé maître dans le film d’action, Kim Jee Won.  Cependant, limiter l’intention du réalisateur à des considérations techniques serait réducteur ; il livre ici un long-métrage qui a une vraie portée anthropologique. Il perçoit ainsi tout l’intérêt de ce genre à part entière que constitue le « film de zombies » : donner à réfléchir sur les comportements humains, notamment en situation d’urgence. Cruauté, panique et sens du sacrifice sont alors de mise ici et donne une certaine épaisseur à un film qui aurait pu souffrir de quelques imperfections. 

A l’automne d’une année si étrange, Peninsula a donc une saveur particulière. L’esprit tourmenté, au sortir de la séance, on prend conscience que les enjeux soulevés par le long-métrage sont terriblement d’actualité. Alors l’œuvre de Yeon Sang-ho divise incontestablement, mais elle mérite qu’on lui donne sa chance, car c’est un film sincère, peut-être trop attendu, mais qui garde le sel de son prédécesseur : l’audace de mêler émotion et réflexion. 

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