CinémaCritiques

Une Ombre bien pesante

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En 1933, Gareth Jones, un journaliste britannique qui a déjà interviewé Hitler va à Moscou afin de percer le mystère de l’impossible équation soviétique : un peuple prospère technologiquement malgré de faibles revenus.

 

Ce film est définitivement l’agréable surprise du déconfinement des cinémas. Le retour dans les salles obscures ne compte définitivement qu’une ombre : celle de Staline. Ce film permet de se trouver plongé dans une reconstitution historique, tout à fait convaincante, où Staline n’apparaît pas physiquement. Néanmoins, l’ombre du « père des peuples » est tout aussi pesante qu’elle est peu présente. Gareth Jones en pâtit bien sûr, observé par les services secrets russes, mais ce sont surtout les citoyens de l’Union soviétique, qui souffrent par centaines de millions.

 

Gareth Jones arrive dans la patrie du communisme avec l’esprit d’un grand reporter : il cherche à se départir des idées reçues qu’il a et à s’intéresser au fond du problème en tentant de décrocher un entretien avec Staline. Il découvre vite un pays paralysé par un État tentaculaire qui cherche, à la manière de Big Brother, à tout savoir et à tout contrôler. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne les étrangers venus de l’Ouest et les journalistes qui essaient d’enquêter sur le mystère communiste.

 

La caméra de la réalisatrice polonaise, Agnieszka Holland, est sage mais agréable et se meut avec élégance. Elle ne se perd pas dans le superflu et laisse la part belle au récit qui est déjà un magnifique scénario. L’histoire du journaliste Jones est incroyable et est ici magnifiée par l’interprétation tout en finesse de James Norton. Il joue très bien l’homme candide qui s’endurcit face à l’adversité russe. Le monde qu’il visite est si différent de celui dans lequel il vit qu’il ne peut tout de suite voir la corruption endémique et la surveillance qu’il subit.

 

Ce film, loin d’être manichéen, montre toute l’horreur de l’homme de fer (Staline vient de сталь qui signifie acier en russe) et de sa politique. En effet, l’Union soviétique est montré sous son pire jour mais, que dire du régime stalinien qui, par sa politique de répression massive, a directement entraîné la mort de millions de personnes ? Si ce récit ne s’intéresse pas aux goulags, on voit bien l’horreur des famines et notamment de l’Holodomor en Ukraine. L’Ouest est également montré dans ses vices. Certes, le capitalisme politique et économique permet une plus grande liberté, mais il n’évite pas les calculs politiques et la pression de l’opinion publique. De héros revenu du communisme, on peut rapidement devenir honni et ostracisé. Ce film, s’il n’est qu’inspiré de faits réels, a le mérite de mettre en valeur des idées véridiques et de montrer le fonctionnement de l’idéologie politique et de la propagande qui en découle. En URSS on se méfie toujours de l’homme de l’Ouest mais la bonté de l’homme survit malgré les difficultés puisque ceux qui n’ont rien donnent tout sans concession.

 

Finalement, ce film en montre plus qu’il n’en dit explicitement et il est intéressant d’un point de vue historique. Il ne révolutionne pas l’histoire du cinéma mais c’est un témoignage juste et cru qui cherche à éveiller les consciences sur notre passé commun, qui résonne aujourd’hui, plus que jamais, dans l’actualité.

 

Ба́ры деру́тся – у холо́пов чубы́ треща́т.

 

8

Mathieu Bonnet
Rédacteur en chef de la Cinemat'HEC pour l'année 2020-2021.

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