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Mank – Manké

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2021 sera l’occasion, espérons-le, du retour de grands cinéastes américains : Spielberg, Terrence Malick ou encore Paul Thomas Anderson sont annoncés. Or, fin 2020 sortait sur Netflix le nouveau film d’un autre cinéaste culte : David Fincher. Connus pour ses immenses succès, de Seven à Fight Club en passant par The Social Network, la dernière œuvre du cinéaste était logiquement attendue avec impatience après cette année de disette cinématographique forcée. Heureusement pour lui, Fincher s’est tourné vers Netflix pour produire son film, ce qui lui a permis, en plus d’une liberté créatrice totale, une sortie en 2020 alors que les salles restent fermées. Hélas pour nous, la réussite tant espérée ne se révèle pas à la hauteur des attentes.

Qu’il est difficile de parler de ce film un mois après l’avoir oublié. Dans mes vagues souvenirs, il raconte l’histoire de ce cher Herman J. Mankiewicz, grand scénariste du Hollywood des années 30, sur le point d’écrire son œuvre maîtresse : le scénario de Citizen Kane. Fincher nous propose de déambuler dans les studios des années 30, aux côtés de cet artiste à la dérive, d’y croiser des figures pittoresques, du producteur véreux au réalisateur écrasé par les studios. Et un premier problème se présente déjà : le film de Fincher paraît bien anecdotique, la faute notamment à son scénario. Il est évidemment difficile d’en dire du mal puisqu’il fut écrit par le père du cinéaste, aujourd’hui décédé, et auquel il souhaitait rendre hommage depuis longtemps. Si la démarche est bien sûr touchante, le scénario en question n’est malheureusement pas le plus convaincant que Fincher ait pu adapter. Lui qui est avant tout un formaliste, il saura mettre en scène avec brio tout bon scénario (The Social Network, Zodiac, ou Gone Girl par exemple). Ici, on assiste à un énième portrait sans grand intérêt des studios hollywoodiens. Méchants producteurs et gentils artistes sont évidemment de la partie, témoignant une pensée dense et profonde ! Si le film tente de reproduire les allers-retours temporels de l’œuvre de Welles, c’est hélas souvent plat et sans envergure : ils ne servent aucun enjeu, aucune démarche esthétique.

Pour ce qui concerne la mise en scène, le noir & blanc, s’il est indéniablement soigné, n’est pas marquant. Pire encore, il renforce le côté artificiel du film. En témoigne notamment l’apparition, à diverses reprises, de ces cercles noirs en haut à droite du cadre, repères utilisés sur pellicule pour signaler un changement de bobine. Aucun problème a priori avec ces repères, mais le film entier est si imprégné du numérique, de cette image lisse et sans aspérités, que ces pauvres marques ne font que nous rappeler l’absence de pellicule. Il ne s’agit pas de préférer la pellicule au numérique, mais Fincher doit faire un choix entre l’hommage à cet Hollywood perdu, qui nécessiterait la pellicule, et une mise en scène moderne, en numérique, empreinte du réalisateur. Hélas Fincher n’assume pas ses choix, et tente vainement de concilier hommage d’antan et pellicule artificielle. Oui, tout ceci est soigné, oui, tout ceci est « joli », mais rien n’échappe à cet aspect lisse et fade, sans âme pourrait-on dire, rien qui ne soit véritablement beau.

Cela dit, Fincher fait preuve d’une certaine tendresse à l’égard de son personnage, lui qui est pourtant coutumier du cynisme. Oh, rassurez-vous, il reste dans Mank ce qu’il convient de cynisme, mais ce personnage roublard et malicieux, fin et désabusé, apparaît finalement assez émouvant. Quelques scènes s’envolent aussi, parfois. La déambulation de Mank avec la jeune étoile du cinéma a ce charme de l’époque, cette mélancolie légère qui soulève ce vrai bel instant crépusculaire, au regard tendre. Le casting d’ailleurs est bon, Gary Oldman n’ayant plus rien à prouver, sert encore une fois son personnage de la plus belle des manières. Dommage que ce personnage n’ait finalement pas grand-chose à raconter, le comble pour un scénariste. Quant à la bande son enfin, elle se révèle à l’image du film : soignée, mais dont il ne me reste aucun souvenir.

Le tout se laisse suivre sans réchapper à l’ennui, la tête ailleurs et la montre sous les yeux. Que de circonvolutions sans à-propos, point de grâce qui perce ou de beauté à l’horizon. S’il est indéniable que Fincher se fait plaisir, le cinéaste nous avait habitués à bien plus percutant. Un film de cinéphile diront certains, à qui je répondrais : oui, d’accord, mais dont le name dropping et les références sans fin tournent à vide. Peut-être Fincher fut-il victime de sa liberté totale, sans doute ne parvint-il pas à se dépêtrer de l’hommage au père, il est en tout cas certain que Mank manque de panache, de singularité et d’envergure. L’anecdote est parfois plaisante mais souvent plate et désincarnée, tout ceci manque de chair et d’âme. Une déception donc, pour clôturer cette triste année, mais qui ne saurait nous détourner des autres films proposés en ce début d’année par Netflix. Car pour ce qui est de la machine à rêves hollywoodienne, on préférera se laisser tenter par le cadeau inespéré qui nous est fait par la plateforme en ce début d’année, se laisser porter par la merveille des merveilles, fraîchement ajoutée au catalogue, par le plus beau film du monde : Mulholland Drive, de David Lynch.

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Luca Mongai
Rédacteur en chef de la Cinémat'HEC pour l'année 2021-2022.

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    3 Comments

    1. Je ne sais pas qui a écrit l’article mais affirmer que la mise en scène n’est pas marquante, que le film est lisse et se perd dans le name dropping relève de l’incompétence la plus totale dans l’analyse filmique.
      Mank, comme la plupart des films de Fincher, est une oeuvre minutieuse, où les degrés de lectures sont multiples, et dont le style d’apparence froid et machinal, ne fait que renforcer la subtilité des combats inférieurs des personnages.
      Si j’étais correcteur à l’épreuve de la dissertation de culture générale d’HEC, une copie du niveau piètre article aurait immédiatement disqualifié le candidat, dont les rêves de séduire la première venue à Jouy en se la jouant cinéphile, seraient immédiatement brisés.
      Allez jeunot, retourne voir Avengers: Endgame, laisse les grands films aux grands.
      Bisous

      1. Cher Tyler,

        Ici celui qui a écrit l’article. J’ai bien conscience que votre commentaire si solidement argumenté n’attend pas vraiment de réponse – il se suffit dans sa médiocrité, c’est fort – mais permettez-moi quand même d’en apporter une. Je ne vais pas justifier ici ma critique, simplement rectifier certaines de vos inepties. Chacun notera d’abord la qualité de votre propre analyse filmique, qui se résume à deux lignes. Sachez ensuite cher bonhomme qu’ayant vu tous les films de Fincher, j’affirme haut et fort que c’est l’un des plus faibles. Ne pas l’admettre relève probablement de l’atavisme du fanboy, vous vous reconnaîtrez peut-être. Là où Gone Girl, par exemple, était froid et incarné, parfaitement mené par un Fincher en haute forme, Mank est plat et terne. Vous affirmez – à grand renfort d’exemples, chacun le constatera – que la mise en scène est marquante. J’en conclus donc que vous devez avoir vu au plus 3 films, dont Avengers : Endgame, pour sortir de telles âneries. Tout est vu et revu, passé et repassé. L’existence d’une grille de lecture ne suffit pas à la rendre intéressante : échos à l’histoire du cinéma, à la carrière de Welles, au cinéma américain de Louis B. Mayer, révérence au père : il y a des choses mais rien qui ne soit incarné et profondément travaillé. Le film est un exercice de style gentillet, autiste sur les bords, il saura satisfaire les cinéphiles prétentieux qui ne connaissent que le cinéma américain, préfèrent Fincher à Tarkovski et Nolan à Kubrick. Les amateurs de grand cinéma en revanche passeront leur chemin. Je vous invite donc à mon tour à tenter de le retrouver, ce grand cinéma, celui qui reste, pas celui qui se consomme.
        Quant à la dissertation, heureusement en effet que vous n’êtes pas correcteur à HEC si vous la condonfez bêtement avec l’exercice de la critique : je suis navré de devoir vous faire remarquer qu’il y a une différence.
        Je constate finalement que vous avez le courage de vos opinions, et que vous n’êtes pas du genre à vous cacher derrière un pseudonyme, mon cher Tyler Durden.

        Respectueusement.

    2. C’est quoi le problème avec Avengers ?
      Certes, il n’est pas du calibre de Thor: Ragnarok qui s’illustre par la recherche d’identité du personnage dual de Bruce Banner/Hulk, quête qui ne s’achèvera que lors du dernier opus des Avengers, mais tout de même. Je vous trouve bien durs Messieurs

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